A mes heures perdues


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         A mes heures perdues, je me touche (oh non !) la barbe, le regard dans le vide, incertain d’être là, certain d’être au-delà (ici ou là-bas qu’importe !). Donc, je me touche la barbe à mes heures perdues, je la sens douce mais robuste (prête à en découdre !), je la sens inutile mais protectrice, je la sens comme une partie intégrante de mon visage (et on sait bien avec ma barbe qu’un visage change tout, absolument tout !). Si elle s’envolait, je serais à l’évidence un autre : certaines personnes iraient vers moi, ces mêmes personnes qui me tournaient le dos, et vice versa.

            A mes heures perdues, je me touche la barbe et j’écoute avec attention l’aiguille angoissante de l’horloge qui ne cesse de faire ce bruit si énervant (à la fois pour l’oreille et pour la bonne humeur !). Ça presse le cerveau et ça compresse le cœur… cœur qui ne cesse de battre dans un rythme (dé)mesuré. On ne pense pas aux battements de notre cœur quand on vit, tout comme on ne pense pas au temps quand il passe (en voilà une belle affaire ! qu’avons-nous dit ?).

            A mes heures perdues, je me touche la barbe, j’écoute avec attention l’aiguille angoissante de l’horloge et j’aperçois au loin les sifflements divins (et je fais le sourd !). …L’œil toujours méditant (le gauche, allez savoir pourquoi !) propulse vers un hors-de-soi à la fois alléchant et déstabilisateur. L’apparition abrupte d’un rien (du rien !) vient mettre en avant la possibilité d’une contre-expérience bientôt reléguée du côté de l’insoutenable…

            A mes heures perdues, je ne touche plus ma barbe, je n’entends plus l’aiguille, je n’aperçois plus les sifflements divins, et je me surprends à penser à toi, ou plutôt à ce qui reste de toi en moi (souvenirs, souvenirs…). La date y est pour beaucoup… je serais venu chez toi, mon Louis d’Or dans la poche, et on aurait préparé les crêpes avant de les faire sauter, la pièce serrée par la main qui utilise la poêle (réussite et l’argent viendra à coup sûr !). En voilà une tradition familiale qui n’est pas près d’être jetée aux oubliettes !

            A mes heures perdues, coincé dans le flot du temps et dans les vagues de la conscience, je saisis les dégâts causés par mes lectures, par mon vécu ; j’essaie de reconstituer ce qui ne peut l’être (vaine tentative ! ah l’idiot !). Ai-je trop assimilé, jusqu’à ne même plus apercevoir cette ouverture ? Ai-je trop continué, jusqu’à casser les anciennes statues ?

            A mes heures perdues, j’ai le cœur au bord des lèvres, j’ai le cœur à la fête (qui bat à cent à l’heure ! au moins !), entouré d’anges polis, de gentlemen trop – beaucoup trop – sérieux, de ruraux se prenant pour des rois en ville, entouré encore de saltimbanques pervers, de poètes qui ne jouent pas avec la langue… ni avec la mienne ! J’ai le cœur au bord des lèvres, les ténèbres recouvrent mon regard et les Valkyries défilent en moi… J’ai le cœur au bord des lèvres devant ce fourre-tout maussade dans lequel les vénaux se pavanent… j’ai le cœur au bord des lèvres et une bouteille d’absinthe vide dans la main (droite ! ça doit être la droite…), cette étoile qui ne scintille plus. A mes heures perdues, je quiche une comète dans la chevelure désordonnée du Voyant…

            A mes heures perdues, j’écris « à mes heures perdues », j’écris « je », je me noie dans cette eau double, trouble, houblonnée aussi. Il y a ce langage qui parle en moi, ce dire aliénant, cette parole qui néantise, cette voix qui n’offre plus de voie… peut-être est-ce la manière de dire qui sauve le dire !

            …Sont-elles vraiment perdues ?

Jean


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