Art contemporain: Cheval de Troie du néolibéralisme


 
Crédit : Gabriela GomezLigne de crédit : Unsplash

Crédit : Gabriela Gomez

Ligne de crédit : Unsplash


« Ignare ! réac’ ! inculte ! barbare ! provincial ! »
Lecteurs, lectrices, prenez garde, car vous lisez le papier d’un idiot. Alors lisez, mais surtout, critiquez, car à la fraternité de cette pensée vous subirez l’anathème !

« PLUS DE BEAU ! PLUS DE BEAU ! qu’il est ringard de se réduire à la beauté ! que ce terme est vieux, qu’il ne dit rien ! la seule beauté qui compte est la beauté intérieure ! tout est dans le concept voyons ! ne comprenez-vous pas ? la beauté est subjective et propre aux goûts de chacun, quelle vision arriérée vous avez-là ! ce qui compte n’est pas la beauté mais le concept ! la performance ! l’idée ! c’est ça le progrès ! »

Vous l’aurez compris, nous traiterons par ce court article de l’art contemporain ; de cet art dudit « progrès » émancipant l’homme de la ringarde « beauté » pour le porter vers les glorieux « concepts ». Ah ! c’est en tant qu’ignorant que me considéreront les disciples du gouffre de l’humanité adonnant une égale valeur à tout geste dit créateur et menant, par conséquent, à la perte totale de sa reconnaissance.

La vaste fumisterie de ladite « avant-garde »

Afin de débuter notre réflexion, partons de l’idée que se fait la société artistique de son art. En effet, celle-ci se revendique subversive et sortant de tout caractère institutionnel à l’encontre d’une perspective dite classique et traditionnaliste de l’art. Du fait de ses prétentions subversives, l’art contemporain suppose la transgression de toutes les valeurs précédemment admises dans l’histoire de l’art, que celles-ci soient d’ordre esthétiques, techniques, ou encore morales afin de placer au sommet de toutes les ambitions la « liberté » de l’individu. L’art n’a plus de règles, l’art n’a plus de principes, l’art n’a plus d’objets ; l’art est à la dérive sur l’océan de ladite révolution artistique. En somme, l’art contemporain se déclare anticonformiste en puisant dans cette essence toutes les excuses des caprices narcissiques de prétendus artistes. Nous pouvons dès lors soulever un premier paradoxe. En effet, l’anticonformisme, l’anti-institutionnalisme et en somme le révolutionnaire ne sont pas censés se trouver dans des musées, être soutenus par l’Etat à travers des expositions sur les places publiques, bénéficier de la privatisation d’espaces nationaux et être collectionnés par les plus grandes fortunes mondiales. Dès lors, l’image que veut se donner l’art contemporain est une image erronée en soi lorsque la plupart de ces artistes sont exposés dans des musés nationaux prestigieux comme le Louvres, des galeries bourgeoises, de grandes foires telles que la FIAC, ou encore lorsque les œuvres sont rachetées par l’Etat. Ainsi, la subversion n’a de subversif que le nom lorsque ses œuvres sont glorifiées par les institutions. Au-delà du mensonge de l’avant-garde se trouve déjà éclore la réalité d’une arrière-garde. Dès lors, l’art contemporain n’a absolument rien de subversif dans l’idée du monde artistique actuel mais est au contraire, le parfait accommodement de l’ère du temps, en tant que partenaire indélébile d’un monde néolibéral prônant la marchandise, la mondialisation et les multinationales. La toute actuelle « œuvre » imaginée par Christo et Jeanne-Claude consistant à emballer l’arc de triomphe de 25000m2 de tissus encordés par 3000 mètres de corde et ayant couté 14 millions d’euros (grâce à des fonds privés) est révélatrice de ce qu’est une bonne partie de l’art contemporain : une histoire de chiffres ayant plus à se définir comme un exploit technique que proprement artistique. Or, comme nous le faisions remarquer précédemment, l’art contemporain est un parfait miroir de notre société. Une société néolibérale se vouant au culte de l’individu. Une société dans laquelle tous doivent s’affranchir de toute règle, valeur, morale, tradition ; une société dans laquelle tout élément qui pourrait venir à contrarier le sujet doit être supprimé ; où la réalité est dévalorisée au profit de l’homme préférant l’artifice au réel. Peut-être est-ce alors en ce point que l’avis desdits « experts » est finalement des plus représentatifs de notre époque. Les entendant, tout le monde est artiste. Or il est vrai qu’en nos temps, tout le monde semble être, au-delà de l’artisan, l’artiste de sa vie se permettant de reconsidérer toute chose à travers un relativisme roi, jouant des perspectives pour se donner plus de profondeur, utilisant sa baguette magique comme le peintre use de son pinceau afin de peindre la toile de sa vie tout en niant la toile elle-même. L’artiste comme l’homme post-moderne est la figure même du Narcisse, contemplant l’œuvre et se persuadant de sa grandeur sans possibilité aucune pour autrui de le contredire sinon avec la marque du rétrograde.
Si nous évoquions le fait que les artistes « avant-gardistes » se définissaient autrefois à l’encontre de la bourgeoisie, il semblerait que cette perspective ait radicalement changée et que l’artiste “contemporain” marche désormais main dans la main avec son ex détracteur. En effet, le bourgeois a subi une évolution majeure à travers la figure du « bobo » qui rappelons-le évoque la contraction du bourgeois et du bohème. Le bourgeois, jusqu’alors ancré dans les valeurs admises, plutôt conservateur et admettant une certaine morale et pudeur a découvert le plaisir d’être choqué. Dès lors, le bourgeois en déliquescence cherche toujours plus de choc, de violence visuelle, de mystère et de bizarrerie pour donner la preuve de sa propre contemporanéité.
Mais le bourgeois, en se voulant bohème, n’a fait qu’enfiler la parure de ce dernier, tout en supprimant la bohème en personne. En effet, au-delà d’un intérêt proprement « culturel » ou « artistique » pour l’art, se trouve un intérêt financier de taille n’admettant - après avoir supprimé toute règle – qu’une seule règle, une seule loi : celle de l’offre et de la demande. Voilà ce qui régi l’art contemporain desdits anticonformistes : la loi de l’offre et de la demande. Et pour démontrer le caractère proprement économique de l’art contemporain, reconsidérons son apparition et son évolution à travers une perspective historique.

 

L’Art contemporain, arme de la Guerre Froide spécifiant l’hégémonie culturelle américaine

Introduisons cette perspective en citant Gombrich et sa légendaire Histoire de l’art :

« Les théories marxistes telles qu’elles étaient interprétées dans l’ancienne Union soviétique considéraient toutes les expériences dans l’art du XXème siècle comme un simple symptôme de la décadence de la société capitaliste. Un art qui célébrait le bonheur du travail productif en peignant de joyeux conducteurs de tracteurs ou des mineurs énergiques constituait au contraire un des symptômes d’une société communiste en pleine santé. Naturellement, cette tentative pour exercer d’en haut un contrôle sur les arts nous a rendus conscients des avantages de notre liberté. Mais elle a aussi, malheureusement, entraîné l’art dans l’arène politique et en a fait une arme de la guerre froide. La caution officielle n’aurait pas été accordée avec tant d’enthousiasme aux artistes extrémistes dans le camp occidental si elle n’avait fourni l’occasion de récupérer ce contraste, d’ailleurs réel, entre une société libre et une dictature. »

Ainsi, l’art contemporain états-uniens fut un instrument de propagande culturelle afin de délégitimer un pays politiquement. Dès lors, l’art est entré dans la politique en tant que témoignage d’un système en bonne santé, conciliant l’art et la conception idéologique américaine libérale. En effet, rappelons que les Etats-Unis sont après-guerre en pleine époque Maccarthiste, période de la Peur rouge et de la chasse aux sorcières. Et pourtant la CIA va faire le choix semble-t-il paradoxal de soutenir l’art contemporain dont les artistes sont pour beaucoup d’ex-communistes. En effet, la CIA utilisa l’art contemporain en tant qu’instrument de propagande permettant d’exercer le soft-power américain à l’encontre de l’URSS ; préférant prôner la plus complète liberté à l’encontre de la dictature communiste tout en continuant de fait, à s’exhiber en tant que défenseurs de la liberté sur la scène internationale. C’est pourquoi la CIA créa de toute pièce, dès 1950 le Congrès pour la liberté de la culture, et développa les bureaux de ce Congrès dans près de 35 pays détenant au total une douzaine de magazines. C’est ce même Congrès qui, afin d’étendre le soft-power américain, finança abondamment l’expressionisme abstrait en faisant appel notamment à des contacts parmi les musées et riches hommes d’affaires tel que Nelson Rockfeller dont, rappelons-le, la mère était cofondatrice du Musée d’art moderne de New York. Rappelons que la France n’a pas été exemptée de cette stratégie états-unienne, en témoigne l’accueil dans la capitale française de l’exposition « La nouvelle peinture américaine » de 1958, là encore financée par le Congrès pour la liberté de la culture. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que c’est dans ce même contexte que Paris perd sa place de capitale mondiale de l’art. En effet, à la suite des événements de la Seconde Guerre mondiale, New York ayant accueilli une grande partie des artistes fuyant l’Occupation, la France se trouve relayée au second plan. Consciente de la difficulté, elle fait le choix de suivre les nouveaux codes de l’art new-yorkais afin de ne pas perdre davantage de places ; le tout mené habilement dans la droite ligne du Plan Marshall.

Maintenant que nous avons introduit une perspective historique concernant l’origine de l’hégémonie culturelle de l’art contemporain, considérons les phénomènes économiques engendrés.

 

Economie de l’art contemporain : histoire d’une artialisation de la marchandise

Nous l’affirmions précédemment, l’art contemporain n’obéit qu’à une seule loi, celle de l’offre et de la demande ; car comme nous l’exposions dans la partie précédente, sa propre évolution est le fruit du néolibéralisme : cet art est à la fois fils et garant du néolibéralisme américain. Nous convenions plus haut que l’art contemporain n’avait rien d’avant-gardiste, rien de révolutionnaire. Nous apporterons cependant une nuance. Si révolution il y a, elle est a chercher dans une révolution agissant à long terme, la révolution permanente du capitalisme. En effet, celle-ci ne contribue qu’à asseoir le pouvoir hégémonique du néolibéralisme jusqu’à l’art lui-même en y défendant lesdits principes de liberté. Dès lors, si le bourgeois était il y a encore une cinquantaine d’années attaché aux traditions et horrifié par la révolution, il se trouve que celui-ci, en plus du plaisir d’être choqué que nous énoncions précédemment, trouve un plaisir financier à l’art contemporain.
D’un côté, Bernard Arnault, qui invite les artistes Jeff Koons et Takashi Murakami à redesigner les sacs Louis Vuitton faisant clairement entrer l’art dans la marchandise et le néolibéralisme ; l’art pouvant être porté comme un vulgaire accessoire par les plus riches. De l’autre, François Pinault qui, jonglant entre l’achat et la revente, entre 2001 et 2018 a revendu pas moins de 178 œuvres pour en dégager un bénéfice de 600 millions d’euros. Comme nou l’expose le cas Bernard Arnault, l’artiste lui-même est devenu une marque, un produit du capitalisme dont la signature fait monter els enchères. Car si auparavant les œuvres étaient généralement plus connues que l’artiste qui les a conçu, il semblerait que l’ordre des choses ait été inversé ; ce n’est plus l’œuvre qui vient concrétiser la valeur de l’artiste, mais l’artiste qui, en apposant sa marque, donne toute sa valeur à l’œuvre. C’est en effet « l’artiste » ou « la marque » qui détermine ce qui a de la valeur ou non, ce qui est art et ce qui ne l’est pas. Or, lorsqu’un artiste est reconnu, celui-ci acquiert une légitimité, un grade socio-artistique lui permettant de faire autorité sur ce qui est art et ce qui ne l’est pas. Le démiurge a dit que cela était art alors qu’il en soit ainsi ! Il est par ailleurs intéressant de remarquer que ce mécanisme n’est pas si actuel que cela mais fonctionne depuis un certain temps. C’est du moins ce que relatait déjà Harold Rosenberg dans un article du New Yorker daté du 6 avril 1963 au sujet d’un nouveau genre de public qu’il nomma « l’audience d’avant-garde » :

« L’audience d’avant-garde est ouverte à tout. Ses représentants – conservateurs de musées, professeurs d’écoles d’art, marchands – s’empressent d’organiser des expositions et d’apposer des étiquettes explicatives avant même que la peinture soit sèche ou que la plastique ait durci. Des critiques coopératifs ratissent les ateliers, prêts à repérer l’art de l’avenir pour être les premiers à fabriquer une réputation. Des historiens de l’art se tiennent prêts, avec leurs appareils photographiques et leurs carnets, pour être sûrs d’enregistrer la moindre nouveauté. La tradition du nouveau a rendu banales toutes les autres traditions. »

Ces propos pourront nous rappeler un phénomène que j’avais exposé dans un précédent article au sujet des réseaux sociaux, à savoir, le syndrome de fomo (fear of missing out), ou la crainte de manquer quelque chose. Si la chose que l’on craignait de manquer était alors surtout relative à la possibilité d’une interaction sociale pouvant potentiellement nous valoriser socialement, il semblerait que cela marche tout aussi bien concernant l’art contemporain, et tout particulièrement dans une dimension financière. Pour cela, il nous faut relever un traumatisme originel, celui du manquement des impressionnistes tels que Van Gogh, Courbet ou Cézanne. En effet, il semblerait que les critiques aient failli quant à la reconnaissance des impressionnistes qui tardèrent à bénéficier d’une énorme notoriété tandis que leurs œuvres atteignirent plus tard des prix faramineux. C’est ce que relève Ernst Gombrich en affirmant qu’à la suite de ce traumatisme, « naquit la légende que les grands artistes étaient toujours rejetés et raillés de leur vivant ; aussi le public fait-il maintenant un effort louable pour ne plus rien rejeter ou railler. Une importante minorité s’est pénétrée de l’idée que les artistes représentent l’avant-garde de l’avenir, que ce ne sont pas eux qui sont ridicules, mais nous, si leur valeur nous échappe ». Ainsi, le public a peur de sombrer dans le ridicule en critiquant des artistes qui seront potentiellement plus tard considérés comme des références par les « experts » du monde de l’art, qu’il s’agisse d’experts en un sens artistique ou d’experts en un sens financier. Car, si certains craignent de manquer le prochain Van Gogh d’un point de vue culturel, d’autres craignent de manquer un profit financier des plus conséquents à l’égard d’un artiste qui prendra plus tard une grande valeur. La reconnaissance artistique est ainsi devenue, comme l’investissement financier, simple œuvre de spéculation. De même, le syndrome de fomo peut, outre le point de vue financier, se développer dans la sphère sociale. En effet, les nouveaux bourgeois se veulent à la pointe de la nouveauté et récusent tout accent du conservatisme qui leur fait horreur. Dès lors, ces derniers souhaitent montrer qu’ils marchent avec leur temps et que plus encore, ils sont en avance sur celui-ci. Enfin, l’art contemporain, au-delà des seules considérations que nous avons portées jusqu’à présent se manifeste surtout, par une flambée des prix. En effet, rappelons que ladite « œuvre » de Jeff Koons, Ballon Dog a été vendue en 2013 au prix de 58,4 millions de dollars, avant que le record de prix pour un artiste vivant ne soit battu par David Hockney avec son Portrait of an Artist en 2019 lors d’une vente aux enchères ayant atteint 90,6 millions de dollars. Dès lors, il sera intéressant de se demander pourquoi les prix de l’art contemporains sont si élevés ? Pour comprendre le phénomène, je vous propose une vidéo du journal Le Monde qui explique assez clairement le mécanisme de flambée des prix de l’art contemporain, vidéo dont je me permets de vous faire ci-dessous une synthèse :

La vidéo explicative du journal Le Monde: (3) Art contemporain : pourquoi le prix des oeuvres explose - YouTube

Lorsqu’une œuvre est vendue aux enchères, la maison de vente aux enchères adopte plusieurs mécanismes. Tout d’abord, le vendeur et la maison de vente aux enchères conviennent d’un prix de réserve désignant un montant minimum de vente en établissant que, dans le cas où l’œuvre ne dépasserait pas le prix de réserve, le vendeur pourra repartir avec son œuvre. Toutefois, de plus en plus de maisons de ventes aux enchères proposent au vendeur des garanties. En effet, en imaginant que l’œuvre ne trouve pas preneur au-delà du prix de réserve, la maison s’engage à verser le prix convenu à l’avance. Dans ce cas, la maison de vente aux enchères fait appel à un tiers garant qui s’engage à prendre en charge le prix de vente ou au moins une partie. Dès lors, le garant bénéficie de plusieurs avantages. D’une part, celui-ci aura la possibilité d’acquérir le tableau à un prix inférieur à tous les acheteurs. Mais en dehors de cela, le garant peut également surenchérir sur la vente de l’œuvre en question pendant la vente. En effet, par son statut particulier, celui-ci bénéficiera automatiquement d’une exonération des frais liée à l’organisation de la vente – d’un montant de 25% de l’enchère gagnante – si celui-ci vient à bout des autres acheteurs. De plus, en vertu de l’engagement du garant, si les enchères dépassent le prix de garantie préalablement convenu, alors la maison de vente aux enchères verse ce dernier au vendeur puis le bénéfice est partagé entre la maison de vente, le vendeur et le garant. Ainsi, les trois acteurs ont tout intérêt à faire grimper les prix afin d’étendre leurs bénéfices. Si l’ensemble de ces mécanismes contribuent à faire grimper les prix, il subsiste un dernier paramètre à prendre en compte, cette fois-ci du côté de l’acheteur, qui contribue à cette même hausse : l’effet Veblen. En économie, l’effet Veblen désigne une théorie selon laquelle, dans les classes sociales les plus riches, plus un bien est cher, plus celui-ci fera l’objet de convoitises afin de démontrer à autrui une preuve de son appartenance sociale à un rang dit supérieur, et cela d’autant plus par le moyen d’une consommation ostentatoire n’ayant pas réellement de valeur pratique. Ainsi, acheter une œuvre d’art contemporain à plusieurs dizaines de millions de dollars permet de démontrer à autrui les moyens financiers dont dispose l’acteur pour dépenser une telle somme, mais aussi de s’inscrire dans l’ère du temps en suscitant l’admiration d’autrui, autant pour ses moyens financiers que pour le prestige social dont il jouit en tant que personne à la mode et branchée.

Changement de paradigme et sens de l’histoire

L’art a subi des bouleversements majeurs au cours du siècle dernier, et cela principalement en vertu des évolutions technologiques telles que la photographie ou encore la vidéo. Et par cette difficulté, une bonne partie de l’art semble s’être réfugiée dans le grotesque en refusant le combat, riant cyniquement de lui-même et de sa défaite. Dès lors, le nerf de la guerre et la légitimation de la place hégémonique de l’art dit contemporain se trouverait selon certains dans l’abandon la représentation. En effet, les idiots utiles du dit progressisme invoquent la prétention selon laquelle la photographie aurait permis de donner sa pleine essence à l’art et d’abandonner un art archaïque se donnant comme seule tache de représenter fidèlement le réel, libérant de fait l’art du joug de la beauté et l’ouvrant à toutes sortes de possibilités conceptuelles. Voilà bien des foutaises. La question de la représentation est bien évidemment inhérente à l’art ; néanmoins, elle n’est pas sa seule fonction. En effet, l’artiste s’inspire généralement du monde, en créé une image et la promet à des spectateurs qui seront eux-mêmes, par l’intermédiaire de cette image, ramenés au monde. Et peu importe l’art en question, le mouvement artistique dont est issue une œuvre, peu importe le niveau d’abstraction, l’homme sera toujours ramené à son désir de représentation, ramené à sa nature d’homme voulant se représenter le monde. L’art éclaire l’homme, lui donne à voir le monde. Et pour cela, je vous invité à la lecture de l’un de mes précédents articles, Du pays au paysage. L’art éclairait le monde, maintenant, elle le floute, plus que cela, l’art contemporain nie le monde. L’art qui indiquait notre présence au monde vient dès lors nous faire douter du monde lui-même.

Mais en-dehors de la sacro-sainte révolution de la photographie nous ayant délivré – ou pas – de la terrible représentation du monde, s’est développé un deuxième argument tout aussi idiot : l’art évolue selon l’histoire, et l’art de notre époque correspond « naturellement », dans l’ordre des choses, à l’art qui devait fatalement être le notre en vertu du sens fatal et unanime de l’histoire.

Et pour mettre fin à cet infame discours, je me permets à nouveau de vous citer Gombrich, qui me semble-t-il est assez clair :

« D’où une vision de l’histoire humaine comme une suite de périodes conduisant jusqu’à nos jours et au-delà. Nous distinguons l’âge de la pierre et l’âge de fer, l’époque féodale et la révolution industrielle. […] Mais depuis le XIXè siècle s’est enracinée la conviction que la marche du temps est irrésistible. On sent que ce processus irréversible entraîne l’art tout autant que l’économie ou la littérature, au point qu’on le considère comme la principale « expression de l’époque ». […] N’avons-nous pas l’impression, en le feuilletant, qu’un temple grec, un théâtre romain ou un gratte-ciel moderne « expriment » des mentalités différentes et symbolisent des types différents de sociétés ? Cette conviction comporte quelque vérité si elle signifie seulement que les Grecs n’auraient pas pu construire le Rockefeller Center et n’auraient probablement pas voulu construire Notre-Dame. Mais elle implique trop souvent que les conditions de l’époque (ou son prétendu « esprit ») devaient fatalement engendrer le Parthénon, que la féodalité ne pouvait s’empêcher de créer des cathédrales et que nous sommes destinés à construire des gratte-ciels. De ce point de vue, erroné à mon avis, il serait à la fois futile et stupide de ne pas accepter l’art de son époque. Il suffit donc qu’un style ou une recherche soient proclamés « contemporains » pour que la critique se sente obligée de le comprendre et de l’encourager. Sous l’influence de cette philosophie du changement, les critiques ont perdu le courage de critiquer et sont devenus plutôt les chroniqueurs de l’évènement. ».

Ainsi, Gombrich fait la démonstration de la stupidité d’un tel argument selon lequel la production artistique dépendrait uniquement des conditions de l’époque et que celle-ci serait, pour ainsi dire, tributaire de l’histoire et d’une certaine fatalité. Mais lesdits « critiques » semblent pleinement asservis à cette conception d’une fatalité de la continuité historique de l’art et se soumettent ainsi à l’acceptation d’une tyrannie de la compréhension nécessaire en se résignant à porter un œil admiratif devant toute nouveauté ou bizarrerie.

Le ridicule comme œuvre

Jusqu’où ira donc ledit « art contemporain » ? Voilà une question essentielle qui mérite réflexion, car l’injonction « il est interdit d’interdire » peut donner lieu – et donne d’ores et déjà lieu – à des excès que l’on n’oserait pas même imaginer. Ainsi, laissez-moi vous présenter succinctement quelques « œuvres » à même de vous exposer mes critiques. Tout d’abord, Tree, de Paul McCarthy, structure gonflable perceptible en octobre 2014 sur la place Vendôme représentant… un plug anal. Subversion me direz-vous ? Subversion ayant pourtant reçu l’autorisation d’innombrables institutions telles que, d’une part les commerçants de la place associés au sein du Comité Vendôme, mais aussi et surtout, la mairie de Paris, le ministère de la culture, et la Préfecture de Police. Un art en dégénérescence dans des institutions n’étant pas à même de trouver un peu de dignité. Or, n’oublions pas que l’art contemporain est une histoire d’idée et de concepts, et que, de fait, sans doute n’avons-nous pas assez creusé le sens, ô combien profond de cette œuvre ! Ne mourrons pas idiots et tentons-nous à une interprétation. Le docteur sexologue Sylvain Mimoun affirme au sujet du plug anal qu’« il vise également à dépasser le peur de la pénétration anale chez certaines personnes. Lorsque la peur est apprivoisée, la pénétration devient banale et les partenaires sexuels peuvent écouter leur plaisir ». Ah ! il semblerait que, grâce à la culture promise par l’art contemporain, nous sommes désormais en mesure de donner une interprétation de l’œuvre ! Dès lors, pourrions-nous présumer que l’autorisation d’installer un plug anal géant dans l’espace publique émanerait-elle d’un « concept » stipulant les liens liant les institutions françaises et l’art contemporain sous la forme de deux « partenaires » dont l’un – l’Etat – craindrait le mal que produirait une pénétration de la part de l’autre – l’art contemporain –  mais qui, par l’autorisation de cet outil dans l’espace publique, accepterait volontiers la perspective d’une sodomie prochaine et répétée lui provoquant du plaisir ? Et surtout ne jugez pas mon interprétation, car n’oubliez pas que dans le monde bienveillant de l’art contemporain, tout jugement se vaut et il serait alors réactionnaire de dire que celui-ci est faux ! Mon interprétation vous a-t-elle choqué ? Mais voyons, pauvres ignares, là n’est-ce pas dans l’ADN de l’art contemporain ? Je suis vulgaire et subversif, appelez-moi l’Artiste !

Allons, allons, ne nous réduisons pas à cette seule œuvre et considérons la tel un caprice d’artiste et de marchands souhaitant se la jouer « djeun’s » sur la place Vendôme, et prenons à la place une véritable institution de la culture française, même appelé « le centre national d’art et de culture », j’ai nommé vous l’aurez compris, le Centre Pompidou. Un musée national dit prestigieux, bénéficiant des financements par millions de l’Etat, quoi de mieux afin d’être séduit par cet art contemporain ? Alors, hommes et femmes, rendons-nous au temple, une matinée d’octobre 2017. Vous vous promenez tranquillement en direction du « centre national d’art et culture », rêvassant à tout ce que vous pourrez admirer en ce lieu et de la culture que vous retirerez de cette délicieuse journée. Vos enfants étaient réticents, mais vous les avez convaincus du caractère fondamentalement moderne de ce lieu prestigieux – qui selon les propres mots de Pompidou n’est pas un musée mais un centre culturel ! – , lieu qui saura leur inculquer une vision artistique de leur époque. Arrivé devant Beaubourg, vous admirez l’infrastructure lorsque soudainement, une première œuvre semble perceptible sur son parvis. Nom de l’œuvre : Domestikator. Taille : Douze mètres de haut. De forme cubique, voilà une première occasion pour vos enfants de vous demander ce que représente cette œuvre. Signification : « Viol de la nature par l’homme ». Autrement dit, il s’agit d’un homme sodomisant un quadrupède. Autrement dit encore, une scène de zoophilie. Que d’aventures en famille !

Enfin, je n’aurai pas l’indécence d’approfondir mon étude sur le groupe chinois Cadavre dont l’un des membres, Zhu Yu produit la « performance » nommée Eating People de manger un bébé mort-né, ou encore lorsque l’artiste chinois Xiao Yu surmonte un oiseau d’une tête de fœtus humain et expose son œuvre au Kunstmuseum de Berne avant que celle-ci ne fasse l’objet d’une plainte. Les exemples sont nombreux, je me limiterai à ces deux. Si sombre est votre âme, allez vous noyer dans les abîmes de cet enfer.

 

De l’inversion des valeurs

L’art contemporain se définit par son contraire. En effet, si l’art qui le précédait sacralisait l’exceptionnel – des scènes religieuses aux grandes batailles en passant par de somptueux paysages – il semblerait que l’art contemporain veuille opérer un renversement total des valeurs, opérant de fait un culte de la banalité. Nous en témoignent les 90 boites de conserves de Piero Manzoni intitulées - très justement il faut l’admettre - Merde d’artiste contenant chacune 30 grammes d’excréments dont le prix atteint aujourd’hui près de 130 fois la valeur de l’or, ladite Fontaine de Duchamp représentant un urinoir en porcelaine ou encore le Balloon Dog de Jeff Koons représentant un chien sculpté à partir d’un ballon. L’art contemporain vit de la transgression de l’héritage d’un art autrefois à la recherche de la transcendance et dorénavant plongé dans les abimes de la décadence. Car oui, ledit « art » dont nous parlons est décadent. Julien Freund, dans son ouvrage consacré à la question de la décadence affirme :

« Durkheim soulignait avec raison que l’accord implicite qui lie les membres d’une société ne se résorbe pas dans la conscience individuelle, mais la transcende. C’est dire qu’une civilisation ne subsiste que par la foi qu’elle a en elle-même. Ce n’est donc pas sans raison que la religion, peu importe sa dénomination, parce qu’elle est par excellence le dépositaire du transcendant, a été le ciment des sociétés. Songeons seulement aux auteurs latins qui déploraient la dégénérescence du paganisme et du polythéisme. La convergence dans la reconnaissance du transcendantal est capitale. L’évolution de l’art en témoigne. La formule de l’art pour l’art, c’est-à-dire de la création limitée à son immanence a été reconnue, même par ses partisans comme un signe de décadence, car, ainsi que le remarquait Hegel, dans un contexte quelque peu différent, l’art nouveau déprécie l’artistique au profit de l’esthétique : la parole et l’explication se substituent au geste de la création. C’est à cette époque aussi que l’art fut évalué comme une marchandise, donnant lieu à un commerce. Très souvent on n’achète plus un tableau, mais une signature. Dans la Métamorphose des dieux, A.Malraux fait une observation analogue, lorsqu’il note que l’art moderne ignore la beauté pour se limiter à faire seulement de l’art, sous les formes les plus diverses, sans quête d’un mode transcendant qui était, en général, autrefois de nature religieuse. Dieu était le paradigme de la beauté. »

Dès lors, notre civilisation, et plus particulièrement les artistes contemporains et les institutions d’Etat semblent avoir perdu toute foi en eux-mêmes. De fait, ces derniers livrent une bataille ardente envers toute trace de notre héritage sous la bannière belliqueuse du joli mot qu’est le « progressisme ». Si Dieu était – comme le soulignait Julien Freund – « le paradigme de la beauté », les apôtres dudit progressisme en refusant Dieu, refuse aussi la beauté censée - dans une perspective théologique - par la réminiscence ou la transcendance, nous ramener vers lui. Ainsi, après avoir tenté d’effacer la beauté et son représentant de la scène artistique, quoi de plus valable que d’ériger comme valeur fondamentale de l’art, les objets les plus communs, les marchandises propres de la nouvelle divinité néolibéral : le grand capital.

 

Mépriser le peuple

Si nous remarquions jusqu’à présent un nombre considérable de critiques à adresser à l’art contemporain, sans doute la plus terrible consisterait à souligner le mépris du peuple dont elle fait constamment preuve. En effet, le monde de l’art contemporain s’est fabriqué un véritable système idéologique permettant de défendre ses positions tout en décrédibilisant ses adversaires sur la base d’une dichotomie du Bien et du Mal. Ainsi, sont considérés comme relevant du Bien les personnes se soumettant à l’acquiescement en faveur de l’avis desdits « experts », véritable ministère de la censure soulignant ce qui doit être considéré comme œuvre ou non tout en leur admettant une certaine valeur. Dès lors, sont considérés comme relevant du Mal les personnes refusant le diagnostic de ces mêmes experts en osant braver le dogme et s’exerçant au dévoilement de leurs avis et pensées les plus sincères. De fait, les apôtres du Bien répandant la parole évangélique du « progressisme » légitiment le dépassement de toute convention tandis que les plus réfractaires sont décrédibilisés en étant associés à l’inculture, l’idiotie ou encore l’extrême-droite. Ainsi, l’œuvre d’art ne peut plus acquérir de valeur par l’intermédiaire du public mais est soumise au jugement d’une petite intelligentsia censée qualifier ce qui est art et ce qui ne l’est pas, qui est bon et qui est mauvais, qui est digne de parole et qui doit se taire voire subir l’anathème. Par conséquent, l’art contemporain, dressant la bannière du « il est interdit d’interdire », s’engage alors sans concession sur la droite ligne d’un puritanisme au moins aussi fort que celui exercé par les autorités académiques ou religieuses d’antan.
Voilà ce qui est de la tyrannie de l’art contemporain : en enfermant l’art dans les mains de quelques experts soumis au néolibéralisme et en censurant le jugement du peuple qui ne souhaiterait pour rien au monde être considéré comme rétrograde ou réactionnaire, l’art contemporain tend à supprimer l’idée même de la beauté par une perversion de la société.

J’ai laissé, par cet article, transparaître des réflexions générales sur ledit « art contemporain ». Néanmoins, je tiens à affirmer mon refus d’enfermer toute œuvre issue de notre époque sous ce même jugement. En effet, si les « œuvres » les plus populaires sont pour beaucoup des plus ridicules, il n’en demeure pas moins qu’il subsiste encore des artistes qui, bien que non soutenus par lesdits « experts » -- refusent le meurtre de la beauté. C’est pourquoi, je sortirai prochainement un article leur rendant hommage. Ne perdons pas espoir mais restituons-le, car rappelons-nous les mots de Mychkine : « La beauté sauvera le monde ».

 

Yoann STIMPFLING