Entretien avec Donovan Bogoni, un poète ivre de vivre dans Les Chants Mithraïques


 
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Donovan Bogoni


Ce court recueil en prose, rythmé par des rapides et des calmes, évolue petit à petit vers une ouverture, le recueil allant du flottement à l’exaltation. Avec Donovan Bogoni, le lecteur navigue dans un va-et-vient entre des balbutiements frémissants et des jubilations flamboyantes, entre des réflexions remplies de fragilité et des cris puissants qui percent la page. Dans ses créations qui s’autojugent, allant de confusions en précisions, des phrases extatiques s’entrechoquent, le créateur se dépouillant progressivement et devenant l’artisan de sa propre fièvre mystique. L’utilisation du « je » provoque chez le lecteur l’impression d’être proche de l’écriture, d’être, pourrait-on dire, en communion avec la création elle-même en train de se faire. Au commencement, le poète lâche prise, est dans un non-contrôle ; son écriture se déploie dans l’espace, les mots gravitent, l’être flotte. Puis des cris sont peu à peu lancés vers Mithra, divinité indo-iranienne de la clarté, du soleil et de la victoire de la vie sur la mort.

Le poète fait face à l’ineffable, à l’insaisissable et en même temps à l’orgueil qui l’habite du fait d’avoir la prétention d’écrire. Il se trouve ici une réflexion sur le langage, le langage provoquant inévitablement une insatisfaction. Le poète nomme, essaye de nommer la puissance supérieure pour laquelle il se donne et chante, mais cette puissance mithraïque reste muette. De plus, il est toujours insatisfait de ses créations, créations dérisoires en comparaison avec cette puissance créatrice qui le dépasse. Il existe ici une incompatibilité entre les mots limités du poète et les puissances illimitées de Mithra.

Ce recueil, marquée par la solitude, passe du désespoir à l’espoir, en effet le poète s’engouffre mais continue dans un désert fabuleux son projet inaccessible, en l’occurrence se fondre avec l’unité du monde. Il marche, chante, dans l’attente d’une réponse, d’une certaine attention. Il sait au fond de lui qu’il est condamné à créer, la création est alors son espoir et son gouffre. Cela rappelle ces vers du poème « Magnitudo parvi » de Victor Hugo tiré des Contemplations : « Toute solitude est un gouffre / Toute solitude est un mont. »

Ces poèmes sont des chants qui se perdent dans les limbes de l’infini, le poète étant un obstiné qui, malgré les échecs successifs du langage qu’il emploie, donne son énergie créatrice. Mais, parfois, le doute s’installe, le doute de ne plus avoir assez de force pour chanter. Bogoni cherche et fuit Mithra, sa lumière est partout mais il reste tout de même insaisissable, intouchable, inaccessible. Finalement, la poésie, c’est toujours l’histoire d’une écriture qui chante l’absence.

Ce recueil est par conséquent un recueil sur le passage d’une brume qui se lamente à un attachement à la lumière. Ce dévouement total au soleil se finit alors sur la perte de raison du poète qui se fond littéralement dans l’amour fou qu’il porte à sa divinité. Du sentiment d’être perdu, il finit par s’unir frénétiquement à Mithra, force originelle. Le poète veut retourner à cette origine, il recherche quoi qu’il arrive l’Un ; enivré, il veut se fondre avec l’Origine de la création, ayant conscience que ses mots ont été vains pour la saisir.

Entretien avec Donovan Bogoni :

·        Vous avez publié en octobre votre recueil Les Chants Mithraïques à la maison d’édition Atramenta. Pouvez-vous présenter en quelques mots votre parcours ?

Ancien étudiant en philosophie esthétique, j’ai commencé l’écriture d’une thèse sur le rapport du cinéma et de l’expérience métaphysique en 2016, travail que je n’ai pas mené à terme. Je passe aujourd’hui mes jours à me rêver bouquiniste en raturant proses et vers.

·         Votre recueil s’intitule donc Les Chants Mithraïques, pouvez-vous nous en dire davantage sur Mithra, cette divinité indo-iranienne ? Comment a-t-elle influencé vos créations ?

Ma fascination pour la Rome Antique me fit découvrir le culte de Mithra (dans sa réappropriation romaine en tant que Sol Invictus) populaire auprès des légions. Son histoire est complexe, faite de fragments, d’hypothèses, de fantasmes. « Mithra » s’est logé dans ma tête comme un mantra, un nom que je donne à tout ce que je chante dans mon livre, ivresse, ferveur, lumière, joie dévorante. L’explicitation de son histoire m’est impossible ici, mais je dirai que « Mithra », solaire et prodigue, a la beauté d’une interjection de transport et je l’ai faite mienne, en nouvelle « Hosanna ».

·         Vous appelez vos poèmes des chants, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Il s’agissait d’abord de me placer dans une lignée : celle des aèdes et rhapsodes. Mais rhapsode manqué, je n’ai couché ces chants sur papier qu’à défaut de les clamer dans les rues comme un ensorcelé. J’écris toujours dans l’obsession musicale, je lis et relis à haute voix, songeant à la voix – une autre, une belle – qui me lirait.  C’était enfin rendre hommage à deux poètes, à deux livres oubliés aujourd’hui : « Les Chants Orphiques » de Dino Campana et les « Chants de la Pluie et du Soleil » d’Hugues Rebell qui m’influença dans la forme – l’« Ô » et l’Hymne.

·         On remarque dans votre recueil un « je » qui s’exprime, qui avance seul dans une sorte de désert cherchant et fuyant à la fois Mithra. Cette solitude est marquée cependant par une fusion finale, mais quel rapport entretenez-vous avec la solitude ? Est-ce un moteur qui vous permet d’écrire ?

Je me suis toujours senti plus seul encore dans cette termitière qu’Onuphre au désert. Et je ne trouve dans cette solitude que panique, errance. Mais que quelqu’un soit dans la même pièce, m’ait dans son champ de vision, voilà cette main qui tient la plume ankylosée. Je ne peux écrire une ligne sans être seul. C’est une intimité du « je » et de sa projection qui ne se partage avec nul autre. Il ne faut personne entre les murs et moi, sans quoi ce « je » projeté ne peut s’y réverbérer. La solitude m’est un enfer nécessaire.

·         Pensez-vous que l’on peut qualifier vos chants de chants mystiques ? Car de nombreux éléments, dont le dépouillement de soi, l’extase, la fusion avec une unité originelle, font fortement penser au mysticisme...

Ils n’étaient pas mystiques, mais le sont devenus progressivement. Je cherchais du rationnel, du concret pour mettre un terme à l’errance. J’ai trouvé ce concret dans la lumière du soleil, pour la diviniser peu à peu jusqu’à m’en faire dévot. Le mystique est tout imprégné d’irrationnel et de fièvre : je voulais simplement chanter la joie. Mais la goûtant pour la première fois, je m’en suis empiffré, je m’en suis rendu malade et fiévreux, j’ai fini par chanter cette fièvre jusqu’à l’irrationnel. La joie devint extase, l’amour du faisceau désir de m’y diluer, le chant clameur mystique.

 

Voici un chant tiré de son recueil de poésie intitulé Les Chants Mithraïques (Atramenta, 2020) :

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Nous remercions chaleureusement Donovan Bogoni pour sa collaboration avec notre journal ainsi que pour avoir donner de son temps pour répondre à nos questions.

Vous pouvez le découvrir et le suivre sur Facebook : Donovan Bogoni – Écrivain ; et sur Instagram : @donovan_bogoni.

Voici la page de son livre

Jean