Erdogan: La conquête à tout prix


 
Auteur : Gerd AltmannLigne de crédit : Pixabay

Auteur : Gerd Altmann

Ligne de crédit : Pixabay


A la suite de l'assassinat de Samuel Patty, le Président de la République française, Emmanuel Macron, exhortait au nom de la liberté d'expression à « ne pas renoncer aux caricatures », démontrant son attachement aux valeurs de la République. S'affirmant contre les doctrines liberticides, les déclarations du Président ont suscité une vague d'hostilité de la part d'une partie du monde musulman, à commencer par la Turquie.

Le Président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'est alors imposé dans le rôle de chef de file du monde musulman, en tant qu'instigateur d'un mouvement répulsif aux idéaux français. De fait, l'on a pu voir ce dernier multiplier les provocations à l'égard de la France, exposant ses interrogations quant à la santé mentale d'Emmanuel Macron, appelant la Turquie au boycott des produits français, ou encore affirmant qu' « une campagne de lynchage semblable à celle contre les Juifs d'Europe avant la Deuxième Guerre mondiale est en train d'être menée contre les musulmans », attisant de fait les tensions diplomatiques entre les deux pays.

Toutefois, ces propos ne sont pas les seules sources de tensions entre la France et la Turquie, mais ne font que constituer la continuité d'une petite guerre froide dans laquelle les deux pays multiplient leurs zones d'affrontements. Ainsi, la Libye est le théâtre d'affrontements indirects entre la France et la Turquie, tous deux défendant des camps rivaux. Plus récemment, la Turquie s'est imposée dans les conflits du Haut-Karabagh en soutenant l'Azerbaïdjan contre les Arméniens de l'Artsakh, et en envoyant ses forces armées, mais également, en favorisant le passage de filières turques de mercenaires djihadistes syriens. En effet, selon les renseignements français, « 300 combattants ont quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par Gaziantep (Turquie). Ils sont connus, tracés, identifiés, ils viennent de groupes djihadistes qui opèrent dans la région d'Alep ».

Si ces derniers affrontements sont terrestres, la petite guerre froide franco-turque n'hésite pas à se poursuivre sur les mers. Paris redouble d'efforts pour freiner les projets d'explorations gazières entrepris par Ankara à proximité de l'île grecque de Kastellorizo en Méditerranée orientale, violant de fait le droit international en prospectant à l'intérieur des frontières maritimes grecques, ou encore ceux entrepris en zone chypriote que le Président français dénonçait déjà le 10 septembre dernier à Ajaccio : « La Turquie a des pratiques de forage en zone chypriote qui sont aujourd'hui inacceptables. Nous devons, nous Européens, être clairs et fermes avec, non pas la Turquie comme nation ou comme peuple, mais avec le gouvernement du Président Erdogan ».

Ainsi, Erdogan profite-t-il de la fronde anti-française engendrée à la suite de l'affirmation de la liberté d'expression comme valeur fondamentalement républicaine et chère au pays des Lumières ?

Quoi qu'il en soit, le dialogue entre Paris et Ankara semble rompu. En effet, la France et la Turquie ont tous deux rapatrié leurs ambassadeurs respectifs, rituel diplomatique qui, rappelons-le, témoigne d'une forte charge symbolique quant à l'entrée en état de crise.

Le caractère systématique des provocations et des injures du Président Erdogan n'est en rien anodin, mais souligne une rhétorique populiste cohérente aux attentes de la majorité des électeurs d'Erdogan. En effet, le Président turc est confronté à diverses crises au sein même de son pays. Outre la récession économique dont est victime la Turquie, Erdogan et son parti, l'AKP, ont également perdu la mairie d'Istanbul dorénavant détenue par un rival potentiel, Ekrem Imamoglu, membre du Parti républicain du peuple dont Erdogan et l'AKP contestent la victoire.

Erdogan souhaite reconquérir son électorat, qui n'est, lui, pas composé de la grande bourgeoisie istanbuliote mais majoritairement des classes moyennes et pauvres dont la culture religieuse est profondément ancrée, orientant de fait la rhétorique d'Erdogan dans ce sens. Ainsi, lorsque le journal satirique français Charlie Hebdo publie en une de leur journal des caricatures du prophète dénudé, se dégage alors une émotion très forte dans cette partie de la population, qui, sensible au discours d'Erdogan voit en lui un défenseur du peuple et de l'islam, en tant que protecteur des valeurs divines contre ses oppresseurs.

Dès lors, si la Turquie témoigne, comme précédemment exposée, d'une politique interventionniste dans les conflits armés, celle-ci fait preuve d'autant plus de présence sur le terrain des conflits idéologiques. De fait, les missiles sont devenus des mots, les chars des intonations et les lignes de front des idéologies sur lesquels le choc des opinions publiques œuvre aux décisions. La mobilisation des opinions publiques est effectivement devenue le fer de lance des unions et désunions des relations nationales et internationales. Ainsi s'efface la force d'une diplomatie de chancellerie qui ne trouve plus les mots, au profit d'une diplomatie publique qui, sur le socle des invectives semble façonner une nouvelle conception des relations internationales aussi outrageuse que désolante.

Le Président turc tire ainsi profit de ces différents idéologiques prenant source dans l'affirmation du confessionnalisme turc. De fait, toute critique faite à l'égard de la Turquie par les pays européens agira pour Recep Tayyip Erdogan telle une spirale dans laquelle plus il sera remis en cause par l'Europe Occidentale, plus il marquera de points au sein de son électorat dans cette position de défenseur du peuple et de la cause musulmane contre des gouvernements européens jugés hostiles. Ainsi, les relations internationales sont aujourd'hui imprégnées par un facteur trop longtemps sous-estimé, l'émotion, catalyseur de la mobilisation de l'opinion publique, en l'occurrence de la mobilisation d'une partie du monde musulman dont Erdogan veut se faire le leader de la oumma.


Recep Tayyip Erdogan profite des innombrables tensions qui secouent le monde musulman pour s'instaurer en tant que chef de file de la cause musulmane et de la oumma. En effet, la stratégie mise en place par le Président turque n'a pas pour seul enjeu les causes internes à la Turquie mais s'inscrit bien dans l'idée de conquête d'une image de référence auprès du monde musulman en tant que défenseur des valeurs religieuses.

De fait, si Mustafa Kemal Atatürk a œuvré, dans les années 1920, à une succession de réformes pour la laïcisation de la Turquie censée opérer un contrôle de la religion par l’État, force est de constater que la Turquie d'Erdogan semble avoir changé d'orientation. En effet, la parti de l'AKP a ébranlé cette conception laïque de la société et s'inscrit clairement contre une résurgence laïque comme nous le démontre des propos tenus en 2016 par le président du Parlement turc Ismaïl Kahraman lorsqu'il affirme : « Nous sommes un pays musulman. Par conséquent, il faudrait faire une Constitution religieuse ».

Les tensions diplomatiques entre la France et la Turquie sont également, dans une certaine mesure, liées à l'actualité par l'entrave récemment prononcée par Paris contre l'assise de la Turquie dans l'influence quelle porte sur l'islam français. En effet, la Turquie est sans aucune doute le pays le plus engagé dans la question de l'islam en France, la moitié des imams étrangers exerçant dans l'hexagone étant turcs. De fait, le projet de lois sur les séparatismes met à mal l'influence turque sur la représentation de la religion musulmane en France, projet de loi ayant pour objectif, rappelons-le, de conforter les principes de la République.

Toutefois la question de l'influence turque sur la représentation de la religion musulmane en France reste de moindre mesure face aux ambitions expansionnistes d'Erdogan, son projet internationale se jouant principalement dans le monde musulman et au Moyen-Orient. En effet, le Président turc, de par ses prises de positions constamment associées à un discours plaçant l'islam au devant, candidate clairement au leadership de la oumma dans le contexte d'un monde musulman qui n'a plus de réel leader unioniste. L'Iran ne pouvant pas vraiment déborder de ses frontières, le Pakistan en proie à un état de décomposition, la Turquie semble bénéficier d'une grande avance sur de potentiels rivaux. Ainsi, le récent appel d'Erdogan à boycotter les produits français nous a largement démontré le suivi direct d'une grande partie de Moyen-Orient tels que l'Iran, la Jordanie, ou encore le Koweït.

Mais le Président Erdogan s'inscrit-il réellement dans une démarche profondément religieuse ? N'utilise-t-il pas l'islam comme prétexte pour assouvir ses pulsions expansionnistes et désirs de puissance ?

Rappelons-nous les termes employés par Erdogan pour définir la soi-disant campagne de haine menée par l'Europe contre ces concitoyens musulmans : « Une campagne de lynchage semblable à celle contre les Juifs d'Europe avant la Deuxième Guerre mondiale est en train d'être menée contre les musulmans ».


RAPPELEZ-VOUS EN BIEN.


Il n'y a aucun doute quant au fait que vous ayez tous entendu parler des monstruosités pratiquées à l'encontre des Ouïghours, cette minorité musulmane et turcophone peuplant la région du Xinjiang à l'extrême ouest de la Chine, victime de terribles violations des droits de l'Homme, que l'on préférera qualifier plus justement de « génocide ».

Recep Tayyip Erdogan, alors encore Premier Ministre avait souligné les dérives de la politique de Pékin en 2009, affirmant : « Pour parler franchement, les incidents en Chine sont un génocide ». La Turquie a, dès 1949 lors de la prise de pouvoir du Xinjiang par le Parti communiste chinois, fait office de refuge pour la communauté Ouïghour qui fuit les persécutions de Pékin, accueillant ainsi l'une des plus grandes diaspora Ouïghour du monde.

Or, le Président turc a radicalement changé de politique à l'encontre des Ouïghours. En 2016, Ankara met en état d'arrestation Abdulkadir Yapcan, activiste politique ouïghour s'étant établi en Turquie dès 2001 et entame une procédure d'extradition. En 2017, un accord passé entre la Chine et la Turquie autorise l'extradition de la communauté ouïghour demeurant en Turquie vers la Chine. Ainsi, depuis 2019, le gouvernement turc aurait déporté des centaines de réfugiés ouïghours vers la Chine en passant par le Tadjikistan afin de conserver une certaine discrétion.

Les raisons de cette « concession » que l'on préférera nommer plus précisément « collaboration » sont principalement d'ordre économique. En effet, la Turquie traverse une crise diplomatique, mais également économique. De fait, Ankara compte sur Pékin pour investir dans son pays et assurer une coordination diplomatique, impliquant dès lors une adhésion à la rhétorique du pouvoir chinois.

Au risque de paraître redondant, RAPPELEZ-VOUS BIEN des propos tenus par Erdogan pour définir la relation entretenue entre les Etats européens et leurs concitoyens de confession musulmane : « Une campagne de lynchage semblable à celle contre les Juifs d'Europe avant la Deuxième Guerre mondiale est en train d'être menée contre les musulmans ».

Les propos tenus par le Président turc, Recep Tayyip Erdogan ont-ils vraiment besoin d'être commentés ? Quelle valeur ont les propos d'un homme qui dégrade l'image de la France et de l'Europe, entretenant un climat de haine venu du monde islamo-conservateur ? Quelle valeur ont les propos d'un homme qui accuse la relation entre les États et leurs concitoyens musulmans d'être comparable à celle entretenue par les nazis à l'égard des Juifs ? Quelle valeur à cette même parole venue de la bouche d'un homme prétendant au leadership de la oumma alors même qu'il déporte une partie de son propre peuple contre quelques investissements étrangers, afin de les donner en pâture aux pulsions génocidaires du régime chinois?

Yoann STIMPFLING