Bambi, l’allégorie des opprimés


 
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Erik Witsoe

Ligne de crédit : Unsplash


Le dessin-animé Bambi de Walt Disney est sorti en 1942 pendant la Seconde Guerre Mondiale. L’histoire de ce petit faon a marqué des générations par la scène déchirante de la disparition de sa mère. Mais, ce sont aussi les personnages attachants, les musiques bucoliques et envoûtantes qui restent gravés dans les esprits. Face au climat terrifiant de la guerre, Disney propose une ode à la nature bouleversante qui restera un chef-d’œuvre.

Cependant, Walt Disney, par son adaptation, s’éloigne du récit originel datant de 1923 écrit par Felix Salten, écrivain et critique juif autrichien. En réalité, Bambi, ce petit faon chassé et traqué, serait une allégorie des juifs d’Europe à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale. Le livre a un succès retentissant et traverse même l’Atlantique. Sa dimension politique ne passe pas inaperçue. Quand Disney racontait une fable écologique, Salten laissait dans ses pages des indices sionistes.

L’histoire de Bambi est la découverte du monde extérieur par un petit faon vivant avec ses semblables. Un sentiment d’insécurité règne dans chacune des lignes. Les cerfs doivent se cacher d’un ennemi constant mais qu’on ne nomme jamais sauf à travers le pronom « Il ». Cette menace latente mais invisible est celle que ressent Salten face à la montée de l’antisémitisme dans une société d’après-guerre. En effet, la communauté juive a eu des échos dans les années 1920 des pogroms, attaques et pillages contre les Juifs mis en place en Russie.

Mais, le récit est aussi un texte de sensation, c’est un éveil aux sens, aux sentiments au travers de beaux paysages chers à l’auteur. Dans cette narration bucolique, Salten parle cependant de sujets graves comme le décès de la mère avec une initiation à la perte et à la mort. Le thème du danger et de la fuite est omniprésent. La forêt est à la fois un endroit apaisant et sécuritaire, mais aussi sombre et cruel. L’ambivalence fait la richesse de l’ouvrage.

Les références aux origines juives de l’auteur sont donc nombreuses. Les chevreuils racontent des histoires aux enfants dans le but de les alerter sur un danger proche mais invisible. Des mots proches du yiddish se retrouvent dans les échanges. Le cerf nous rappelle Moïse qui guide son peuple vers une terre sacrée qu’il espère sans danger. Tous ces indices dans l’œuvre de Salten montrent ses origines sionnistes, ses craintes d’un monde où les Juifs sont rejetés et son espoir d’une Terre Promise.

Salten nous livre donc ses inquiétudes sur un monde au bord de la crise, certains passages sont prémonitoires du massacre des juifs d’Europe : « Cette terrible détresse, dont on ne voyait pas la fin, répandait la rancœur et la barbarie. Elle réduisait à néant tous les usages, elle minait la conscience, anéantissait les bonnes mœurs, détruisait la confiance. Il n'y avait plus pitié, ni repos, ni retenue ». 

Cette allégorie des juifs n’est pas passée inaperçue auprès des nazis qui ont pris le pouvoir en Allemagne. Ils y voient une attaque à la suprématie de la race aryenne où les allemands sont symbolisés par les chasseurs et les juifs par les chevreuils. Le livre enfantin est donc jugé contraire à l’esprit allemand. Il sera interdit en 1936 et de nombreux exemplaires seront brûlés lors des autodafés.

De plus, il est important de souligner que le film de Disney sort en 1942, une année terrible pour les Juifs avec de nombreux événements comme la rafle du Vel-d’Hiv, la liquidation du guetto de Varsovie en Pologone, ou le début de l’extermination totale à Auschwitz. Sans le vouloir, Bambi aura été prémonitoire de l’avenir sombre qui attendait les Juifs d’Europe.

Mais, Bambi n’est pas seulement une allégorie des oppressions de la communauté juive, c’est aussi celle de tous les opprimés. La force de ce classique réside dans le fait qu’il traverse les époques. L’inquiétude et le danger présents dans l’œuvre peuvent se retranscrire dans certains sujets d’actualités (les expatriés, les migrants cherchant une terre sans danger…). La richesse du texte permet aux enfants de s’éduquer, ils suivent les aventures du faon qui grandit comme eux. Les adultes quant à eux font des parallèles avec le monde qui les entoure. L’œuvre de Salten nous invite donc à la redécouvrir, et pourquoi pas à faire des comparaisons avec le dessin-animé de Walt Disney. L’interprétation reste tout de même propre à chacun, expliquant le fait que Bambi restera pour toujours une référence qui ne cessera de nous étonner.

Marine