Birmanie: l’armée contre le peuple


 
Crédit image : Bao MenglongLigne de crédit : Unsplash

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« L’histoire se joue d’abord comme un drame et se répète comme une comédie » disait Jacques Ellul. Mais quelle est donc cette comédie mortifère qui frappe la Birmanie dans la quête d’une impossible démocratie ?
Cela fait maintenant un mois que les rues birmanes sont le théâtre de scènes de répressions des plus sanglantes confrontant le peuple birman et son armée. Si la répression a commencé par des tirs de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc, il ne fallut pas bien longtemps aux forces armées birmanes pour ouvrir le feu à balles réelles dans de nombreuses villes du pays où se sont multipliées les manifestations. Selon l’émissaire des Nations Unies, 38 personnes auraient trouvé la mort dans les manifestations populaires du mercredi 3 mars s’opposant au coup d’Etat en cours depuis le 1er février 2021. Les membres des Nations Unies ont entamé une réflexion quant aux sanctions possibles contre la junte militaire.

Le 1er février 2021, Aung San Suu Kyi, cheffe de l’état birman ainsi que plusieurs membres de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) sont arrêtés par la Tatmadaw, les forces armées birmanes. Dès le 6 février, la riposte populaire s’est organisée à l’encontre de la nouvelle dictature militaire et se poursuit en dépit de la loi martiale interdisant tout rassemblement de plus de 5 personnes.

Effectuons une légère rétrospective afin de comprendre la prise de pouvoir de la junte militaire birmane :
Les dernières élections législatives birmanes du 20 novembre 2020 ont concédé une victoire sans équivoque à la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi, affirmant de fait la légitimité de la lauréate du prix Nobel de la paix de 1991 et cheffe de l’Etat birman depuis 2016.
Rappelons par la même occasion que les élections birmanes sont plus représentatives qu’actives. En effet, la Constitution birmane exige que l’armée conserve quoi qu’il en soit 25% des sièges dans les deux chambres du parlement. Or c’est bien la volonté du peuple qui dérange par-dessus tout les forces militaires birmanes : le parti politique birman pro-armée (Parti de l’union pour la solidarité et le développement) a subi une véritable humiliation dans les urnes face à la LND. Suite a une suspicion de fraude électorale de la part de l’armée, cette dernière a réclamé une vérification du scrutin que le gouvernement en place a refusé, constituant la principale raison de ce putsch.

Le territoire birman est fragmenté en une pluralité d’Etats organisés selon l’ethnie de la population qui le constitue. Historiquement, les différentes ethnies birmanes représentaient autant de royaumes rivaux. Ce n’est qu’à travers la colonisation britannique que la Birmanie entre dans l’Empire des Indes. Si la Birmanie acquiert son indépendance en 1948, celle-ci demeure un pays fragmenté par les luttes inter-ethniques. Dès lors, l’armée occupe une place importante dans la vie politique du pays afin de veiller sur l’unité de celui-ci contre les différentes revendications des minorités. Or en 1962, une junte marxiste s’installe à la tête du pays opérant le premier d’une longue série de putschs.
Dès lors, les mobilisations populaires birmanes de ce dernier mois ne sont pas sans nous rappeler les événements de 1988 où une manifestation pacifique pro-démocratie fût violemment réprimée dans le sang. Les récents événements ne sont – nous le disions – pas sans laisser un parfum de déjà vu à l’Histoire. En effet, les premières élections multipartites birmanes ont été organisées pour la première fois en 1990, soit une trentaine d’années après la première prise de pouvoir militaire du pays. La Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi remporta 392 des 492 sièges mis en jeu pour les élections. Or la dictature militaire refusa de se conformer aux résultats des élections, et assigna la candidate à résidence.  
C’est à la suite de cet échec démocratique qu’Aung San Suu Kyi devient en 1991 lauréate du prix Nobel de la paix et acquiert une grande influence sur la reconnaissance internationale de la crise démocratique birmane (reconnaissance et réputation par ailleurs désormais entachée par son silence, voire son déni face à la persécution des Rohingyas). L’égérie de la volonté démocratique du peuple birman passe ainsi une quinzaine d’années en résidence surveillée avant d’obtenir sa libération en 2010 et de se faire élire député deux ans plus tard, réaffirmant l’espoir d’une transition démocratique ; espoir mis à mal par le nouveau putsch du 1er février 2021.

« Nous sommes prêts à envisager des sanctions internationales conformément à la Charte des Nations Unies si la situation continue à se détériorer », a déclaré l’ambassadrice britannique Barbara Woodward à la suite de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU du vendredi 5 mars dernier organisée sous l’impulsion du Royaume-Uni. Or l’ONU reste divisée, comptant notamment la Chine et la Russie, alliés traditionnels de la junte militaire, dont Pékin dit se vouloir « un voisin amical » selon les mots de l’ambassadeur chinois Zhang Jun. Au-delà de l’amicalité, rappelons que la Chine demeure le premier partenaire commercial de la Birmanie, partenariat d’autant plus important dans le cadre du grand projet de développement économique chinois des « nouvelles routes de la soie »

Yoann STIMPFLING