Le Cinéma et le Jeu Vidéo


 
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A Plague Tale : Innocence

Asobo Studio


Le jeu vidéo, ce n’est pas que le « pan, t’es mort » stupide survendu par les médias en quête de buzz facile, cette idée ancrée si profondément dans l’imaginaire collectif qu’elle rend n’importe quel dogme jaloux.

Média et industrie artistique, il est bien plus, lorsqu’on se donne la peine d’en étudier les arcanes. Je vous propose aujourd’hui une vision bien plus élargie de la bête noire que l’on s’imagine si aisément. Et pour ce faire, je m’en vais vous conter la si troublante ressemblance entre le jeu vidéo et le cinéma.

Le Cinéma et le jeu vidéo

Si, dans le cinéma, les blockbuster d’action faciles à vendre sont nombreux et éclipsent la majorité du reste de la production, en en vampirisant les fonds et les recettes au passage, il est communément admis que ce genre de cinéma, comme les poissons volants, ne représentent pas la majorité de l’espèce. Il en va de même pour le jeu vidéo. Selon le site SteamSpy, 10 224 jeux sont sortis en 2020. Et combien ont atteint l’oreille du grand public ? 4 ? 5 ? A peine. Et l’on s’imagine bien que, sur ce nombre tout entier, tous ne sont pas identiques, au contraire de ce qui est souvent entendu dans les journaux et autres.

Ainsi, le cinéma et le jeu vidéo ne sont pas si éloignés dans leur modèle de vente. Mais cette ressemblance va plus loin. Les deux arts sont des produits de labo, des arts technologiques, et récents. Le cinéma est à l’origine et avant tout une vidéo d’un spectacle vivant, alors que le début du jeu vidéo représente le monde par l’assimilation de pixels à une réalité, par la mécanique. Et l’un comme l’autre évoluent par la mécanique, le cinéma finissant par « rattraper » le jeu vidéo en utilisant le numérique pour s’affranchir des limites du réel et du vivant. Et, loin de proposer la visite d’un monde coupé du nôtre, il nous donne accès à une sorte de rêve lucide, quand le cinéma, lui, projette un rêve plus classique, mais similaire dans la technique.

Le cinéma possède cette particularité d’être composé de film qui sont chacun uniques, c’est-à-dire que deux visionnages d’un même film sont identiques. Mais la différence vient, elle, du spectateur. Chaque spectateur fait face à une expérience unique, nouvelle et finie en regardant un film. Jouer à un jeu vidéo, c’est presque pareil. Chaque joueur va vivre quelque chose de différent dans un même jeu, une expérience proche et pourtant unique. Mais la révolution vient du fait que le joueur lui-même, en refaisant un jeu dans des conditions différentes, temporelles, spatiales ou autre, vit une nouvelle expérience différente de la première fois. Le monde du jeu vidéo est fait pour être trituré, toujours d’une façon différente.

Mais une grande différence semble être la manière de raconter l’histoire, le cinéma étant absolument linéaire, et le jeu vidéo ayant lui une plus grande liberté, pouvant offrir une histoire différente selon les actions du joueur.

Et il est devenu clair qu’il existe entre les deux médias une relation complexe, parfois opaque : le cinéma se trouve emprunter des effets, des histoires, des techniques nés dans le jeu vidéo. En témoignent les nombreuses adaptations de jeux vidéo au cinéma (Warcraft, Monster Hunter, Resident Evil, etc.), ou le fameux Ready Player One de S. Spielberg qui en fait le centre de son intrigue, tout en assimilant des logiques de jeux vidéos, comme les points de vie.

Dans le même temps, une part de l’industrie vidéoludique tente de s’approcher au maximum d’une expérience cinématographique.

Le Cinéma dans le Jeu Vidéo

Tout d’abord, et cela se retrouve dans toute l’histoire du jeu vidéo, le cinéma est une inspiration. En résulte les nombreuses adaptations, des Dents de la Mer, sur borne d’arcade en 1975, jusqu’à aujourd’hui, avec les nombreux titres nés de Battle Royale. Le jeux vidéo a toujours trouvé dans le cinéma une inspiration, souvent pour des raisons lucratives, après le succès de certains films.

Mais la technique aussi a évolué pour se rapprocher de celles du cinéma. Cela se retrouve dans la manière de gérer les angles de vue, toujours plus proche de ceux des caméras, à l’épaule en général. L’on rencontre aussi ce mimétisme dans certains effets de lumière fait pour simuler ceux provoquer par les caméras du cinéma, où encore, pas exemple, dans le récent Ghost of Tsushima, se passant dans le Japon féodal, et dans lequel existe une option qui applique à l’entièreté du jeu un filtre spécial, simulant le style du réalisateur nippon Kurosawa, noir et blanc, grain typique et musiques spécifiques.

Citons par ailleurs l’existence et la recrudescence dans de nombreux jeux des cinématiques, ces passages entiers sans mécaniques de gameplay, uniquement filmées et en général centrales car développant l’intrigue. Le nom lui-même se passe de tout autre commentaire.

Cette quête du cinéma dans le jeu vidéo est d’ailleurs particulièrement française. En effet, certaines des plus grandes expériences cinématographiques actuelles sont originaires d’ici. Et il nous faut citer le studio majeur, Quantic Dream, aujourd’hui très connu pour son titre Detroit Become Human. Ce jeu nous plonge dans une anticipation centrée sur une révolte de robots intelligents, mais à la manière d'un quasi film. Ce jeu est un excellent exemple de ce que peut donner le cinéma dans le jeu vidéo, un mélange donnant un résultat prenant, où l’on se fait spectateur actif, jouant autant qu’admirant. Et les actions du joueur sont centrales, car elles définissent le déroulement du film, et son dénouement final. Son photoréalisme fait que l’on peut s’interroger sur sa nature, entre film et jeu, à la résolution et la beauté supérieures à de nombreux films, mais pourtant impliquant l’individu de manière absolument active.

Un autre exemple de cette évolution est A Plague Tale : Innocence, autre production française du studio bordelais Asobo Studio, sorti en 2019, et sacré Meilleur Jeu, meilleure univers sonore et excellence visuel lors de la Cérémonie des Pégases 2020. Ce jeu se trouve être à la limite précise entre cinéma et jeu vidéo. Jeu vidéo par ses nombreuses mécaniques, le contrôle disponible sur les personnages et la possibilité d’échec. Cinéma par ses séquences de jeu, par son écriture, par ses personnages et leur psychologie, par son ambiance générale entre le film d’époque et le film noir. Ce jeu a su garder le meilleur de chaque média, et surtout les allier pour créer une œuvre unique, poignante et inspirante.

L’âge de raison du jeu vidéo

Tout comme le cinéma a toujours cherché à se donner un rôle autre que le simple divertissement, le jeu vidéo a atteint ces dernières années cet état, avec de nombreux titres se réclamant d’une quête de sens.

Avec Until Dawn, c’est, au-delà d’un simple slasher, une interrogation sur la gestion du deuil, la responsabilité individuelle et les interrogations qui en naissent. Le mal que l’on combat, durant cette unique nuit de l’intrigue, nous rappelle en réalité le mal que chacun peut faire autour de lui, consciemment ou non.

L’expérience cinématographique du jeu vidéo est dans sa grande majorité tourné vers le rapport humain, entre le personnage que l’on joue, et ceux qui l’entourent. Ces jeux deviennent des commentaires psychologiques face aux obstacles que le jeu pose et impose, dans des univers souvent proches du nôtre. Ainsi, The Last Of Us, contant le parcours d’un père en deuil et d’une jeune fille dans une Amérique en ruine, ressemble à s’y méprendre à la réalité de la psychologie de crise, comme suite au 11 Septembre ou à la misère causée par les différentes crises économiques modernes. Ce jeu devient ainsi absolument prenant, car il dépeint une réalité proche de ce pourrait être la nôtre, les morts-vivants en moins, un commentaire de nôtre civilisation du point de vue de ceux ayant tout perdu.

Enfin, la série des Life Is Strange nous offre un superbe mélange entre nôtre vie quotidienne et un monde chamboulé par nos héros. Le 2ème titre de cette série nous fait suivre un adolescent tout à fait banal, dans une ville banale, avec une vie banale. Mais l’onirisme inclus dans ce jeu à travers le personnage de Daniel, le petit frère, chamboule cette vie, et nous fait ressentir le terrible sentiment d’injustice d’un monde s’acharnant sur deux enfants qui ne souhaitent que vivre normalement, mais sans espoir. Le cinéma qui parcourt ce jeu nous offre de superbes moments de la vie de tous les jours, sublimés par leur rareté et leur pureté. La relation entre les deux frères, Sean et Daniel, se construisant principalement au travers des cinématiques, peut nous rappeler n’importe quelle relation fusionnelle.

Le cinéma nous donne dans ce jeu cette impression de proximité avec les personnages, tout en restant un récit collectif et inhabituel. Il nous offre un rare sentiment d’appartenance à cette histoire, à ces instants précieux de vie simple.

Ainsi, cette nouvelle esthétique fait que l’on ne cesse de se demander vers où va le jeu vidéo. Est-il condamné à essayer d’être du cinéma sans jamais l’atteindre réellement ? Est-ce au contraire une sorte d’horizon pour lui ? Le futur nous en laissera juge.

Nicolas Graingeot


Sources :

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