Covid-19 : Le monde d’après ?


Crédit image: Anne Nygård

Crédit image: Anne Nygård

 

Lors d’une allocution prononcée le 16 mars 2020, le Président de la République française affirmait au sujet de l’épidémie de COVID-19 : « le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », stimulant de fait l’imagination collective autour de l’idée d’un monde d’après qui tirerait des leçons du monde d’avant. Dès lors, la remise en question du monde d’avant au profit de la construction du monde d’après nécessite une reconsidération de nos modèles économiques, politiques, sociaux et écologiques dans la perspective d’un nouveau paradigme mondial. Or le contexte particulier de cette crise sanitaire ne nous encourage-t-il pas à développer une vision biaisée de la réalité du monde d’après au profit d’une utopie déconnectée des faits ? Nous remarquerons que, si la crise sanitaire a tendance à conforter nos espoirs sur le monde d’après, il n’en demeure pas moins que ce dernier reste grandement soumis à la continuité du monde d’avant, et même qu’il semble s’affirmer au travers d’une intensification du modèle préexistant sous l’égide de la lugubre prophétie houellebecquienne d’un monde d’après qui « sera le même, en un peu pire ».(1)

A première vue il semblerait que la pandémie de COVID-19 ait permis de rendre l’impossible, possible. Un exemple des plus remarquables se retrouve dans l’espoir suscité en vertu de la problématique écologique. En effet, les émissions de gaz à effet de serre ont été sujettes à une réduction drastique de 7% en 2020 par rapport à l’année 2019 (2) , alors que le jour du dépassement, s’il était en 2019 atteint le 29 juillet, a été en 2020 repoussé au 22 août (3) , démontrant de fait la possibilité de répondre concrètement aux exigences écologiques. Au-delà de la question écologique, il semble que la crise sanitaire ait également renforcé le rôle de l’Etat. Qu’il s’agisse de la baisse des impôts sur les entreprises ou de la mise en place du chômage partiel, tout semble nous laisser présager un monde d’après marqué du retour d’un Etat-providence prônant l’interventionnisme économique et social. A l’image des propos de Bruno Latour incitant à « sortir de la production globalisée actuelle » (4) , il semblerait que l’imaginaire collectif du monde d’après tende généralement à l’uniformisation à travers l’image d’un monde « meilleur », en quelque sorte d’un monde « éthique », soumettant la mondialisation à la critique en prenant exemple sur la démondialisation provisoire entraînée par la crise sanitaire qui accentue de fait la remise en question du modèle actuel fondé sur un capitalisme libéral. Or, céder au contexte si particulier d’une crise sanitaire dont les mesures sont placées sous l’égide du provisoire pour développer une telle préfiguration du monde d’après n’est-ce pas synonyme d’un fantasme reniant la continuité du monde actuel ?

A contre-courant de l’idéalisme dont fait preuve l’espoir d’un monde d’après inéluctablement gage de progrès, il semble en effet que la réalité de ce dit « monde d’après » soit particulièrement soumise au monde d’avant. Tout d’abord, une vision pragmatique de notre monde semble affirmer une certaine contradiction dans la caractérisation singulière d’« un » monde homogène lorsque celui-ci englobe une réalité des plus hétérogènes. Dès lors, ce même pragmatisme devrait nous encourager à considérer la potentialité « des » mondes d’après et non celle « du » monde d’après. En effet, les inégalités demeurent profondes entre les pays, comme nous en témoignent les multiples fractures entre les pays du Nord et les pays du Sud, qu’il s’agisse d’inégalités de richesses, d’accès aux soins, ou encore de liberté des individus pour ne citer que ces derniers éléments. Si ces différences fondamentales étaient déjà bien connues dans le monde d’avant la crise sanitaire, il semble que cette dernière ait encore d’avantage démontré le caractère hétérogène du monde au sein même de pays dits « développés ». C’est du moins ce que nous pouvons remarquer sur le marché du travail, dont Laura Tyson et Susan Lund prennent pour exemple les Etats-Unis et la perte de 12 millions d’emplois en contraste de l’Allemagne et de la France qui ont quant à elles su ralentir les chiffres du chômage avec des mesures telles que le chômage partiel (5) . Or, bien que le monde soit hétérogène, chacune des particules qui le composent semble poursuivre une même trajectoire individuelle avant et après l’épidémie, au grand dam de l’espoir d’un bouleversement des tendances, allant jusqu’à affirmer un renforcement des modèles du monde d’avant, comme nous témoigne le Production Gap Report de L’ONU Environnement en affirmant au sujet de la crise que « les réponses des gouvernements ont eu tendance à intensifier les modèles existant avant la pandémie » (6) , exposant de fait des plans de relance s’inscrivant dans la continuité du monde d’avant. Or, si le monde semble soumis à une même continuité, le monde d’après semble, bien loin des espoirs envisagés, aller de plus en plus mal.

« Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire » (7) . Si la prophétie houellebecquienne semble lugubre, elle n’en est pas moins réaliste, comme nous en témoignent les propos étrangement similaires de Patrick Artus affirmant que l’« on est dans un mouvement du capitalisme qui est le même qu’avant, en plus moche » (8) . Ainsi, la crise ne semble qu’avoir brisé les possibilités actives de poursuivre les dynamiques précédemment envisagées afin de rétablir une situation financière semblable à celle qui précédait l’épidémie par le biais des délocalisations, gels de salaires et intensifications de la production... Le cas de la Chine est des plus représentatifs. En effet, Pékin s’était engagé dès 2014 à limiter peu à peu ses émissions de gaz à effet de serre. Or la crise sanitaire a encouragé le pays à négliger cette dynamique afin de revenir, après le premier confinement, à un niveau de pollution supérieur à celui enregistré à la même période de l’année précédente (9) ; cette même année appartenant selon les utopistes au « monde d’avant ».

« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » (10) . Nul doute que le vers de Char est des plus aptes à corriger l’illusion du dit « monde d’après ». Faire preuve de lucidité dans les prédictions du monde d’après nous expose à une brûlure dont l’utopisme nous aurait certainement préservé. Or cette même lucidité ne doit pas faire céder l’observateur aux plaintes cioranesques, mais au contraire, lui faire restituer l’espoir sous couvert du pragmatisme tout en embrassant ses responsabilités pour se dédier à l’action concrète afin de construire un futur n’étant rappelons-le que le fruit du présent.

Yoann STIMPFLING


Sources:

1 HOUELLEBECQ, Michel. Interventions 2020. Paris : Flammarion, 2020. 464p.
2 Le Covid fait chuter les émissions de CO2, Les Echos, [en ligne], 11 dec.2020. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/le-covid-fait-chuter-lesemissions-de-co2-1273140
3 Earth Overshoot Day is August 22, more than three weeks later than last year, Earth Overshoot Day, [en ligne], 5 juin 2020. Disponible sur : https://www.overshootday.org/newsroom/press - release-june-2020-english/
4 LATOUR Bruno, « La crise sanitaire incite à se préparer à la mutation climatique », Le Monde [en ligne], 25 mars 2020. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/lacrise-sanitaire-incite-a-se-preparer-a-la-mutation-climatique_6034312_3232.html
5 Dans le monde d'après, allez-vous garder votre job ? , Le Tour du monde des idées, France Culture [en ligne], 18 mars 2021. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-dumonde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-jeudi-18-mars-2021
6 Climat : la relance économique post-Covid, pas assez verte pour l'instant, Le Point [en ligne], 8 dec. 2020. Disponible sur : https://www.lepoint.fr/environnement/climat-la-relanceeconomique-post-covid-pas-assez-verte-pour-l-instant-08-12-2020-2404681_1927.php
7 HOUELLEBECQ, Michel. Interventions 2020. Paris : Flammarion, 2020. 464p.
8 L'économie mondiale après le Covid, avec l’économiste Patrick Artus, France Inter [en ligne], 30 dec. 2020. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/unjour-dans-le-monde-30-decembre-2020
9 LOUVET Brice, Après le déconfinement, les niveaux de pollution explosent en Chine, Sciencepost [en ligne], 26 mai 2020. Disponible sur : https://sciencepost.fr/apres-le-deconfinement-lesniveaux-de-pollution-explosent-en-chine/
10 CHAR René, Feuillets d’Hypnos, in Fureur et Mystère. Nouv. ed. Paris : Gallimard, 2019. Première publication en 1948.