Critique du patriotisme


 
Ligne de crédit: La Liberté guidant le peuple, Wikipédia

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Aimez vous votre pays ? De quelle façon lui témoignez vous cet amour ? 

Si je vous pose ces questions, c’est parce que de vos réponses découleront autant de visions différentes du patriotisme. En m’appuyant sur le Dictionnaire philosophique de Voltaire, je vais distinguer deux courants principaux. Pour grossir le trait, une vision d’un patriotisme hostile, et une vision pacifiste. 

Voltaire commence ainsi : 

« Une patrie est un composé de plusieurs familles; et, comme on soutient communément sa famille par amour-propre (…) on soutient par le même-amour propre sa ville ou son village, qu’on appelle sa patrie. Plus cette patrie devient grande, moins on l’aime, car l’amour partagé s’affaiblit. Il est impossible d’aimer tendrement une famille trop nombreuse qu’on connait à peine. »

Ce passage nous dévoile certaines composantes du patriotisme. Il est en effet, en premier lieu, exclusif par nature. Le patriotisme contient en lui une tension puisqu’il nécessite un nombre d’Hommes conséquents qui devient un peuple, une nation; mais il tend cependant vers un recentrement qui fixe des limites. 

En d’autres termes, par le patriotisme, on cherche des gens qui nous ressemblent et que l’on connait ou du moins que l’on peut appréhender à l’aide de critères comme la langue, les traditions, … De là, on peut comprendre cette importance primordiale qu’accordent les courants nationalistes au retour des frontières, à une quête d’identité, à un renforcement conservateur. Ce que cherche le patriote, c’est ce qui lui parle, tout en conservant jalousement des liens rapprochés avec cette patrie qui devient un cercle fermé. Les termes en lien avec l’amour ne sont pas anodins chez Voltaire, car quand amour il y a, la jalousie et même la haine ne sont jamais bien loin. 

« Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes » 

Un deuxième point fondamental qui rend compte d’un nationalisme hostile se résume ainsi : le malheur des uns fait le bonheur des autres. Si cette maxime est largement partagée par tous, de Ninho à Rousseau, elle est explicité par Voltaire en ces mots : 

« Il est clair qu’un pays ne peut gagner sans qu’un autre perde, et qu’il ne peut vaincre sans faire des malheureux »

« Souhaiter la grandeur de son pays c’est souhaiter du mal à ses voisins »

Dès lors, le patriote devient le fervent défenseur de son pays, mais pour ce faire, il est amené à espérer la chute voire à contribuer à la ruine des autres Etats. Les exemples dans l’Histoire ne manquent pas pour savoir à quel point ces phrases sont d’une justesse remarquable. Les luttes de territoire, les guerres technologiques et industrielles, la course à l’espace, la quête des ressources, l’impérialisme, … toutes ces sources de tensions montrent à quel point le patriotisme engendre indubitablement le conflit. 

Et pourtant, cette négativité intrinsèque au patriotisme peut être nuancée. Voltaire nous laisse avec une alternative, dont j’ai parlé plus tôt dans l’article, à savoir un patriotisme pacifique. 

« Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande ni plus petite, ni plus riche ni plus pauvre serait le citoyen de l’univers. »

Le bon patriote c’est donc celui qui aime sa patrie telle qu’elle est, avec ses défauts et ses qualités, ses moments grandioses comme les plus sombres. Se contenter d’accepter ce qu’est le lieu où l’on se trouve, dans son ensemble et sa complexité, c’est cela faire preuve du plus grand patriotisme. 


Emilien Pigeard

 


Bibliographie :

Voltaire, Dictionnaire philosophique - Folio

Ninho, Sans peine - https://www.youtube.com/watch?v=cK625r9T6NY