Dossier historique : Violences criminelles et difficultés policières en mars 1887 (2/2)


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

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2- Le Triple assassinat de la Rue Montaigne : la grande affaire de l’année 1887 

 

2.1- Une illustration de la violence croissante de la criminalité

 

L’un des évènement majeur de 1887 est le Triple assassinat de la Rue Montaigne. Celui-ci se produit le 17 mars et apparait dans le journal Le Petit Parisien le 19 mars 1887. Une histoire terrible qui intéresse un grand nombre d’individus notamment dans la capitale. En effet, cette histoire apparait chaque jour dans les journaux et cela pendant une longue période. Elle est très présente notamment au mois de mars et avril puis revient en particulier en juillet et août dans de moindres proportions.

C’est au n°17 de la rue Montaigne qu’habitait Mme Marie Alice Regnault, plus connue sous le nom de Mme de Monti. Agée de quarante ans, elle était veuve. C’était une femme très distinguée et galante. Elle résidait, depuis environ 5 ans au troisième étage, dans un appartement dont le loyer était de 3600 francs. Mme de Monti était une femme aisée et avait pour femme de chambre une nommée Annette Gremeret qui avait 38 ans. Elle couchait dans l’appartement de Mme de Monti avec sa petite fille âgée de 12 ans prénommée Marie. Mme de Monti avait également une cuisinière : Juliette Toulouze qui quant à elle, vivait au sixième étage. Le 17 mars, cette dernière descend, comme à son habitude à sept heures du matin, de sa chambre de bonne du sixième, pour se rendre chez sa maîtresse. Mais après avoir sonné à plusieurs reprises, elle ne reçut aucune réponse. Elle demanda alors au concierge si celui-ci était au courant de quelque chose mais il ne savait rien. La cuisinière remonta afin de tenter à nouveau sa chance mais sans succès. S’inquiétant de plus en plus, elle alerte alors le commissaire de police du quartier : M. Créneau qui est accompagné d’un serrurier : M. Rigaud. C’est à ce moment qu’ils firent une découverte macabre. Le magistrat en entrant dans l’appartement découvrit trois corps dans des pièces différentes. Dans la cuisine gisait sur le sol Mme Gremeret, la tête presque séparée du corps. Le corps de Mme de Monti se trouvait dans sa chambre, elle aussi fut égorgée. La fille de sa femme de chambre est également retrouvée morte dans sa chambre. Ce triple meurtre est véritablement très sanglant. Il témoigne de la violence quotidienne qui entoure les habitants de Paris. La situation à la fin du XIXème est instable, la violence et l’insécurité sont très répandues et perdurent dans les villes. Les délits et les crimes sont de plus en plus violents comme nous pouvons le constater dans la presse où chaque jour de nombreux crimes sont mentionnés et expliqués par les journalistes.

 

L’affaire du Triple assassinat de la rue Montaigne est incontestablement lugubre, la violence s’exprime par le meurtre des trois femmes mais aussi par les nombreux coups et les mutilations qu’elles ont subies. En effet, la petite fille de 12 ans avait les doigts de la main droite coupés et cinq raies sanglantes sur le poignet ; Mme de Monti et Mme Gremeret présentaient d’importantes lésions, elles ont été violentées avant d’être égorgées. Le 20 mars 1887, Le Petit Parisien rappelle que d’autres femmes du même milieu que Mme de Monti ont été tuées. Camille Aguétant l’une de ces femmes, a été tuée de la même façon que Mme de Monti. Le crime est donc commun et courant à Paris, le vol comme le meurtre font partie du quotidien. Le vol engendre parfois le meurtre comme ce fut le cas avec cette affaire. En effet, l’action du criminel s’explique en particulier par la présence d’un coffre-fort renfermant une grande somme d’argent dans l’appartement de Mme de Monti. La somme était d’environ de 120000 francs mais celle-ci ne fut pas dérobée car l’assassin n’est pas parvenu à l’ouvrir. Il s’est tout de même enfuit avec une certaine somme d’argent trouvée dans l’appartement ainsi que de nombreux bijoux d’une grande valeur. L’argent est ainsi l’une des principales raisons du vol et du meurtre, ce sont en particulier les individus les plus aisés qui subissent davantage ces violences. Ce triple meurtre témoigne de l’usage prépondérant de la violence ainsi que du sentiment d’insécurité ressenti chez les habitants.

 

 

2.2- Des services de police en quête d’efficacité

 

L’enquête peine à avancer comme nous pouvons le lire dans Le Petit Parisien, le 21 mars 1887. L’assassin n’est pas encore retrouvé. Le suspect serait Gaston Gessler, le signalement est diffusé à travers toute la France : « taille moyenne, âgé de trente à trente-cinq ans, maigre, moustache noire, teint jaune, pardessus drap foncé, foulard, chapeau haut de forme ».

La police souhaite régler cette affaire le plus rapidement possible dans le but de montrer sa détermination, c’est pourquoi elle diffuse le signalement à l’ensemble du territoire français. La police pense que le criminel s’est réfugié en Belgique. Si Gaston Gessler est l’homme soupçonné, c’est parce que des boutons de manchette et une ceinture à ses initiales ainsi qu’une lettre à son nom ont été retrouvé dans l’appartement.

On perçoit un retournement de situation avec l’arrestation, le 21 mars, d’Henri Pranzini, âgé de 29 ans et originaire d’Italie, qui fait la une des journaux. Il connaissait Mme de Monti et allait parfois diner chez elle. Il était d’ailleurs très certainement son amant.

La police est intervenue et a procédé à son arrestation après que ce dernier soit dénoncé par Mme Aline, gérante de la maison clause « Chez Aline » à Marseille. En effet, Pranzini aurait payé les prostituées avec une montre et des pierres précieuses. La gérante voulait simplement éviter d’être accusée de recel. Madame Aline, ayant relevé le numéro (le 112) du cocher nommé Berne qui attendait son client, permet à la police de retrouver Pranzini qui est arrêté le jour même au Grand-Théâtre.

La police fait alors le lien entre Henri Pranzini et le Triple assassinat de la rue Montaigne car elle disposait de la liste de bijoux volés. Il est donc directement interrogé par la police. Mr. Roux, substitut du Procureur de la République se charge de cet interrogatoire et obtient de précieuses informations. Pranzini était bel est bien à Paris lors du triple assassinat, il est parti de la capitale par le train après le triple assassinat. De plus, même si Pranzini ne correspondait pas réellement à la description du recherché, il était blessé aux mains. Tout portait à croire qu’Henri Pranzini pouvait être le responsable du triple crime : sa tentative de suicide juste avant son arrestation ainsi que la montre volée qui était identique à celle qui se trouvait dans l’appartement de Mme de Monti. Bien que sa maitresse, une certaine Antoinette Sabatier affirmait avoir passé la nuit du 17 au 18 mars avec lui, Pranzini est toujours considéré comme le principal suspect par la police. Elle va donc poursuivre les recherches afin d’être certaine des agissements d’Henri Pranzini. La police se montre donc très présente dans cette affaire et s’apprête à la boucler même si elle a connu plusieurs difficultés. En effet, Il a fallu plusieurs jours à la police pour trouver l’assassin. M. Taylor, chef de la police de sûreté s’est d’ailleurs plaint des « indiscrétions » de la presse à ce sujet. Cette situation met en avant un fait que de nombreux individus pensent : la police est présente mais se révèle peu efficace. Les débuts de l’enquête ne profite pas à la police, bien au contraire.

Le 25 mars 1887, dans Le Petit Parisien, nous avons mention d’un deuxième interrogatoire par Mr. Goron, sous-chef de police du sûreté. Pranzini nie toujours son accusation et affirme qu’il est innocent. Bien qu’il semble évident qu’il soit le criminel recherché, Gaston Gessier reste introuvable. La police cherche alors davantage de preuves pour pouvoir condamner Henri Pranzini. Ce dernier dort difficilement la nuit, il a de réelles hallucinations mais paradoxalement, il reste calme la journée, et répond toujours avec assurance aux questions posées par la police : « Je n’ai point commis de crime… Moi, tuer une femme que j’aimais ! je suis incapable de commettre un acte aussi abominable […] je suis innocent. »

La police fait une importante découverte d’après Le Petit Parisien, le 27 mars 1887 : une jeune femme qui gardait l’entrée d’un « water-closet » dans les jardins du Palais Longchamps à Marseille, a déclaré au Parquet qu’un individu suspect était entré, elle affirme alors que cet individu était Pranzini. Des fouilles par la police ont alors été faites après les paroles du juge d’instruction. La police trouve alors un paquet mystérieux contenant des bijoux volés faisant partis de la liste des objets volés par l’assassin que la police possédait. Peu après, Pranzini est transféré à Paris et y arrive par le train, très surveillé par la police.

Quelques jours plus tard, la maitresse de Pranzini avoue avoir menti et qu’en réalité, Henri Pranzini n’aurait pas passé la nuit avec elle lorsque le crime a été commis. Les charges semblent s'accumuler contre Pranzini mais celui-ci continue à affirmer qu’il est innocent.

 

La maladresse de la police est à nouveau évoquée durant cette affaire, le 30 mars 1887 dans le journal Le Petit Parisien. En effet un individu arrêté à Arras pour escroquerie affirme aux policiers qu’il est en mesure de retrouver le potentiel complice de Pranzini. Il est évident que Pranzini est coupable et qu’il ait participé au triple meurtre mais ce dernier aurait certainement un complice : M. Gessler.

Après la décision de la Police de sûreté concernant l’individu arrêté à Arras, celui-ci se voit obligé de se rendre dans un café rue des Martyres, accompagné des deux policiers chargés de le surveiller, dans le but de trouver Gessler, un habitué des lieux. Le temps passa et la vigilance des policiers diminua, le prisonnier en profita ainsi pour s’enfuir après s’être éloigné.

Cela fit grand bruit dans la presse comme le rapporte Le Petit Parisien, le 30 mars 1887. La police est une nouvelle fois contestée, du fait de son manque d’efficacité. Elle possède une véritable image ternie auprès de la population parisienne très apeurée. Plus l’affaire avance pour la police, plus Pranzini est considéré comme l’auteur principal ou comme le seul auteur du crime. Gessler quant à lui n’est plus la priorité de la police car il semble finalement qu’il n’ait pas eu de rôle dans cette histoire ou alors un rôle secondaire.

 

2.3- Une police moquée mais indispensable

 

A la fin du mois de mars, la police recherche un cocher, un certain M. Lefèvre afin d’obtenir davantage de renseignements sur Pranzini. Il aurait vu Pranzini entrer dans le parc Longchamp avec un paquet dans la main. M. Lefèvre, voyant Pranzini dans sa cellule, affirme aux policiers que c’était bien l’homme qu’il a transporté le lendemain du triple meurtre. La police progresse dans l’enquête mais se voit retarder dès le premier avril 1887. En effet, de nombreux farceurs rédigent des lettres destinées au chef de la police Mr. Taylor ainsi qu’aux commissaires de police. Ce fait provocateur montre bien la moquerie d’une partie des habitants envers la police, elle n’est pas prise au sérieux. L’intervention de la police s’avère nécessaire car c’est elle qui est la « barrière » entre les habitants et les criminels. Mais pour diverses raisons : effectif pas assez suffisant, moyens obsolètes et pas assez nombreux, elle ne parvient pas à être efficace. Elle est alors tournée en dérision ce qui met en avant la volonté des habitants d’avoir une police plus performante. Voici un exemple de lettre du 1er avril 1887 :

 

« Monsieur le commissaire,

J’ai des remords de conscience qui m’empêche de dormir. Je suis peiné de voir Pranzini sous les verrous. C’est moi qui ai commis le crime tout seul. Je ne puis plus vivre. Si vous voulez constater mon suicide, venez demain soir, à huit heures et demie, dans le bois de Vincennes ; vous trouverez mon cadavre pendu à un grand arbre, près de la Porte Jaune. 

                                                                                                  

                                                                                                                               Gaston Gessler »

                           

                                                                                                                              

En attendant que l’enquête se poursuive, Pranzini reste très calme. Il parait serein et affirme tous les jours qu’il est innocent. Il enchaîne les interrogatoires, les confrontations, les reconstitutions mais rien ne semble le perturber.

Le profil anthropométrique de Pranzini est aussi naturellement dressé, avec peu de moyens et une technologie pas aussi performante que celle d’aujourd’hui. La police parvient tout de même à obtenir des résultats concluant. En effet, la mesure de sa main a été relevé afin de pouvoir la comparer aux traces sanglantes retrouvées dans l’appartement.                                     

Pranzini semble alors bien coupable et serait même le seul criminel de cette affaire. Pour comprendre vraiment cela, il nous faut remonter six ans plus tôt : en 1881, Pranzini travaille à la réception de l'hôtel Caprani à Naples. Il est renvoyé par son supérieur M. Gessler après avoir volé une importante somme d’argent. Ainsi, pour accomplir sa vengeance envers son ancien patron, Pranzini lui vole ses boutons de manchette et sa ceinture qu'il a laissés soigneusement sur la scène du crime. Cela nous montre que Pranzini était l’unique assassin, il n’avait pas de complice, il agissait seul. On comprend alors que le triple assassinat était bel et bien prémédité.

 

Le procès d'Henri Pranzini débute le 9 juillet 1887 devant la Cour d'assises de la Seine. Le 13 juillet, le procès prend fin et la décision est la suivante : il est reconnu coupable des meurtres et est condamné à la peine capitale : l’exécution. Il tente tout de même d’obtenir des recours en grâce mais tous seront refusés. Henri Pranzini est alors guillotiné le 31 août 1887 devant la prison de la grande Roquette par le bourreau Louis Deibler. Si celui-ci n’est pas guillotiné en public, afin de satisfaire la curiosité des gens, c’est parce que l’on perçoit notamment depuis la moitié du XIXème siècle, une évolution morale par rapport à la violence de la sanction. C’est ce qu’explique Emmanuel Taieb, dans la guillotine au secret[1], il nous montre la manière dont est présentée la guillotine. C'est une sorte de spectacle touristique, un spectacle qui attire de nombreuses personnes. Mais avec le temps les exécutions se font de plus en plus tôt et dans les prisons pour limiter voir supprimer le public qui pourrait être choqué. Le Triple assassinat de la rue Montaigne peut se présenter comme étant un succès pour la police, du moins sur le long terme. Malgré les nombreuses difficultés, la police, par sa présence, réussit tout de même à régler la grande affaire ainsi que d’autres nombreuses enquêtes à la fin du siècle. Même si le crime est plus fréquent et plus violent et qu’une partie de la population méprise la police, celle-ci se montre présente et intervient tant qu’elle le peut. Elle n’est certes pas assez développée et reste très limitée en termes de moyens et d’hommes disponibles. Mais elle cherche toujours à réguler d’une façon plus ou moins efficace la violence à Paris. Elle s’avère alors tout de même nécessaire pour la capitale pour les raisons que nous avons évoquées ; mais aussi pour l’ensemble du territoire français.

 


[1] TAIEB Emmanuel – La guillotine au secret - 2011

 

Sacha Nizet

 


Bibliographie :

 

Ouvrages :

- HUGO Victor, Notre Dame de Paris, 1831

- KALIFA Dominique, Crime et culture au XIXème siècle, Paris, Perrin, 2005

- TAIEB Emmanuel, La guillotine au secret, Belin, 2011

- VIDOCQ François, Le Paravoleur, 1830

- ZOLA Emile, Thérèse Raquin, 1867

 

Articles numérisés :

- DELUERMOZ Quentin. « Quelques échelles de la violence. Les policiers en tenue et l'espace parisien dans la seconde moitié du XIXe siècle », Déviance et Société, vol. vol. 32, no. 1, 2008, p. 75-88.

- FARCY Jean-Claude, « la gendarmerie, police judiciaire au XIXème siècle », Histoire, économie et société, 2001, p 385-403

 

Journaux :

- La Gazette des Tribunaux

- Le Petit Parisien

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