La Philosophie de la Tolérance


 
Abdullah FarazLigne de crédit : Unsplash

Abdullah Faraz

Ligne de crédit : Unsplash


 Malgré la représentation populaire, le Moyen-Âge n’est pas cette période de barbarisme absolu, noyé dans la superstition et l’ignorance que l’on s’imagine communément. Merci aux lettrés de la Renaissance et à Hollywood pour cela (il est rare que ces deux groupes apparaissent dans une même phrase, profitez-en!).

Ainsi, cette vision n’est que l’héritage de la mise en avant de l’époque romaine durant la Renaissance. Le Moyen-Âge, étant la période qui suivait sa chute, se devait pour eux d’être un retour en arrière terrible pour l’humanité, une tragédie, non pas en cinq actes, mais en dix siècles.

Il y a tant à dire pour défendre cet éon qu’un seul article, ou trente, n’y parviendrait pas totalement. C’est pourquoi je me concentrerai ici sur un point très particulier, la philosophie, sur un thème très précis, la tolérance, dans un pays uniquement, Al-Andalus, le califat sunnite de la péninsule ibérique (711-1492).


Cette philosophie de la tolérance m’est apparue très clairement lors d’un voyage en Andalousie, plus particulièrement à Cordoue, l’ancienne capitale majestueuse. Au milieu de nombreux merveilleux bâtiments anciens se trouve une tour unique en son genre.

Cette Tour, la Torre de la Calahorra, est une ancienne forteresse romaine, puis wisigothe, musulmane, et enfin espagnole, mais aujourd’hui devenue un musée de la vie en Al-Andalus, centrée sur la cohabitation des trois religions dans ce pays : des musulmans arrivés après 711, des chrétiens descendant des romains ou des peuples convertis installés en Ibérie (les wisigoth principalement) et enfin des juifs, pour la plupart fuyant les persécutions européennes.

Ce califat musulman appliquait ainsi le système du Dhimmi. Il consiste en un impôt spécial pour les non musulmans, garantissant en échange leur sécurité et leur liberté de culte en Al-Andalus. Il n’y avait ainsi pas de persécutions ou de conversions forcées (hormis certains passages de zèle et de troubles).

Ainsi, en Al-Andalus vivaient ensemble ces différentes croyances, dans une certaine liberté. Cela a permis l’émergence de pensées autour de la tolérance et de l’acceptation de l’Autre, qui sont le sujet de cet article. Nous nous concentrerons sur quatre penseurs : Averroès, Maïmonide, Alphonse X Le Sage et Ibn Arabi.

Averroès, le plus grands des penseurs de l’époque


Le premier d’entre eux, Averroès, est un philosophe andalou musulman du XIIème siècle. Grand connaisseur du Coran, mais aussi d’Aristote, il passe sa vie à développer une importante pensée rationnelle et réformatrice de la religion, basée sur la science et l’expérience.

Cela l’amène à exprimer des idées encore novatrices de nos jours. Par exemple, il explique :


« Vous, les hommes, vous considérez les femmes comme des plantes, qu’on ne recherche que pour leurs fruits : la procréation. Et vous en faites des séparées, des servantes… Ce sont vos traditions : elle n’ont rien à voir avec l’Islam. »


Si seulement le débat public utilisait plus Averroès et moins les barbares émotions…

Maïmonide, le rabbin philosophe

Le second philosophe de cette période est Maïmonide, un rabbin de Cordoue contemporain d’Averroès, et qui tend à développer une pensée similaire à lui, rationnelle et scientifique, avec comme base Aristote. Dans ses écrits, il ne fait aucune distinction fondamentale entre juifs, chrétiens et musulmans, expliquant que la seule chose qui importe réellement est la croyance sincère en Dieu. Il écrit ainsi :

« Pour Averroès, le Livre Saint n’est pas notre Thora, mais le Coran. Nous sommes d’accord l’un et l’autre sur les apports de la raison et de la révélation : elles sont deux manifestations d’une même vérité divine. Il n’y a de contradiction que lorsque qu’on s’en tient à une lecture littérale des Écritures, en oubliant leur signification éternelle. »

En France, pour ses idées rationnelles, il sera longtemps censuré et traité d’hérétique. Mais pourtant, il est l’une des rares autorités juives à avoir influencé les trois religions. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin le considère comme un maître.

Alphonse X Le Sage, le roi trop tolérant

Le troisième philosophe est un ancien roi, renversé en 1282 pour ses idéaux de tolérance envers les juifs et les musulmans : j’ai nommé Alphonse X Le Sage, de Castille. Ce roi avait été élevé par de nombreux savants juifs et musulmans, l’initiant à leurs cultures. Il fit traduire le Coran et le Talmud en latin, créa la première école où enseignaient ensemble chrétiens, juifs et musulmans, dans les deux langues de son temps, l’arabe et le latin.


« Comme la synagogue est maison où l’on glorifie le nom du Seigneur, défendons qu’aucun Chrétiens ait l’audace de la détruire ni d’en emporter rien ni d’en prendre aucune chose par la force. »

« Laissez vivre les Maures parmi les Chrétiens, en conservant leur foi, et en n’insultant pas la nôtre. »

Ibn Arabi, ou la lecture du Coran comme livre de réflexion et non de lois immortelles

Enfin, le dernier des penseurs est le Musulman andalou Ibn Arabi (1165-1240), théologien, poète et juriste de renom. Figure centrale de l’Islam de son époque, il est surnommé encore aujourd’hui « Le Plus Grand des Maîtres ».

Une partie de sa pensée se fait à l’encontre des cadi, les docteurs de la loi, qui basent les règles sur une certaine lecture du Coran. Il dit :

« Les Cadi nous disent « Ceci est interdit ! Ceci est permis ! ». jamais ils ne nous disent : »Tu es responsable de toi-même. Réfléchis par toi-même ! » Alors que le Coran nous y appelle à chaque page. A les entendre, il n’y aurait, entre Dieu et l’homme, que des rapports de maître à esclave. Mes frères, la foi et la philosophie commencent là où finit ce juridisme desséché. »

Il écrit dans un poème :


« Mon cœur est devenu capable d’entrer dans toutes les formes : Pâturage pour les gazelles, et couvrent pour le chrétien ; Temples pour les idoles et pèlerin de la Ka’ba ; Tables de la Torah et livre du Coran. Ma religion est de l’amour : Quelque soit le chemin que prend la caravane de l’amour, ce chemin est celui de ma foi. »

Nicolas GRAINGEOT