La scientificité de la cosmologie


Photomontage réalisé par Thomas Brummett intitulé Infinities. Il a superposé des images prises par le télescope Hubble à une photographie de son environnement immédiat créant ainsi un nouvel univers.


Certains ont essayé, à travers l’histoire de la philosophie et des sciences, de penser l’univers dans sa totalité. Cela suppose de spéculer sur ce qui nous dépasse afin de structurer le cosmos. Le cosmos, venant du terme grec kosmos signifiant l’ordre de façon générale, est un terme qui s’oppose donc au chaos. Evidemment les notions d’univers et de cosmos – le cosmos étant par conséquent ce qui renvoie à l’ordre de l’univers – ont évolué à travers l’histoire, ce que nous allons montrer dans cette petite étude. Avant de commencer son développement, il est intéressant de remarquer que le mot « cosmologie » est employé à la fois par les scientifiques et les religieux. Alfred North Whitehead rend compte de ceci dans son ouvrage Procès et réalité publié en 1929. Selon lui cosmologie et métaphysique sont synonymes. Ainsi la cosmologie est l’objet de la philosophie spéculative, qui est « la tentative pour former un système d’idées générales qui soit nécessaire, logique, cohérent et en fonction duquel tous les éléments de notre expérience puissent être interprétés (1)». La cosmologie est à la recherche d’un système d’idées qui rend compte de la totalité des éléments de l’expérience. Nous voyons bien que la cosmologie suppose une approche spéculative mais elle est aussi devenue un domaine pour les scientifiques. La cosmologie scientifique est la science qui présente les connaissances de l’univers à un moment donné. Les scientifiques se penchant sur la cosmologie confrontent la cosmologie à la méthode scientifique et façonnent des théories compatibles avec les observations. Au fil des années, avec l’amélioration des observations grâce aux progrès technologiques notamment, les théories scientifiques en cosmologie s’affinent. Ainsi une théorie peut prendre la place d’une autre si les observations rendent compte d’un nouvel ordre cosmologique. La question du cosmos, du monde, concerne donc à la fois la métaphysique et l’astrophysique.

 

L’univers rationalisé

Le premier modèle cosmologique complet est celui que propose Aristote : l’univers aristotélicien est un tout unique, éternel et fini constitué de deux mondes distincts, en l’occurrence le monde sublunaire – qui s’étend de la Terre à la Lune – et le monde supralunaire – qui s’étend au-delà de la Lune. Dans l’Antiquité, le modèle aristotélicien s’impose mais il ne fait néanmoins pas l’unanimité. En effet les stoïciens et les épicuriens considèrent que l’univers est infini. De plus les épicuriens, par exemple, ont une conception cyclique de l’univers dans la mesure où celui-ci subit des cycles de condensation et de raréfaction.

La conception d’Aristote perdure jusqu’à l’arrivée de la science moderne avec Galilée, Copernic et Kepler. A partir du XVIème siècle, le monde de l’ici-bas – le monde sublunaire d’Aristote – est relié au monde de l’au-delà, autrement dit du monde supralunaire, le monde des sphères célestes. Cependant ces trois scientifiques ne donnent aucune conception totale de l’univers. Celui qui inaugure ce type d’aventure intellectuelle, c’est Descartes au XVIIème siècle. De confession chrétienne, Descartes considère que l’univers a été créé par Dieu mais qu’Il continue encore de le créer actuellement, autrement dit à chaque instant Dieu maintient l’univers dans l’existence. Cette théorie cartésienne s’appelle la théorie de la création continuée. Son univers est plein, infini et soumis à des lois nécessaires choisies par Dieu lui-même.

Néanmoins cette conception cosmologique pensée par Descartes ne convainc pas toute la communauté des savants de l’époque, notamment un certain Newton. Ce dernier met en place sa loi de la gravitation et récuse ainsi l’univers plein imaginé par Descartes dans la mesure où cette loi suppose un mode d’action sans contact. Mais, à part dire que l’univers est infini, Newton ne donne pas de véritables caractéristiques de l’univers. Pourtant, son modèle reposant sur la gravitation s’impose au XVIIIème siècle.

Toujours au XVIIIème siècle, Kant développe une conception globale de la formation des cieux en faisant fi de l’observation. Son univers a une origine dans le temps, il est en évolution et il est infini. Il imagine notre galaxie comme faisant partie de plus grandes structures, qui elles-mêmes appartiendraient à de plus grandes structures, etc. Ces structures ne s’étendraient pas indéfiniment dans le sens où Kant admet un principe chaotique dans le cosmos ; ce principe de désordre permettrait à l’univers de s’auto-créer car une structure détruite donnerait naissance à une autre structure. Kant élabore cette conception dans son ouvrage intitulé Histoire générale de la nature et théorie du ciel, qu’il publie en 1755. Mais, par la suite, Kant commence à douter de l’entreprise cosmologique elle-même. Dans la Critique de la raison pure, il affirme que le concept d’univers est contradictoire et façonne une antinomie de la raison pure pour appuyer son propos. Kant prouve ainsi que la thèse selon laquelle l’univers est fini en temps et en espace, et la thèse selon laquelle l’univers est infini en temps et en espace, sont fausses et vraies toutes les deux. Cela est fondamentalement contradictoire. Kant a en effet prouvé la fausseté et la vérité de la thèse et de l’antithèse (en outre, cela montre les limites de la raison).

Pour Kant le concept d’univers n’a pas de référent réel et ne serait qu’une idée régulatrice permettant de penser l’unité des divers phénomènes.

Avec le développement de la thermodynamique – qui s’appuie sur l’étude du comportement thermique des corps – au XIXème siècle, de nouvelles spéculations cosmologiques voient le jour. La thermodynamique se caractérise par deux principes, en l’occurrence que l’énergie d’un système isolé reste constante et que la température de différents corps en contact tend à s’égaliser. Plus généralement, le second principe stipule que le degré de désordre d’un système tend à augmenter avec le temps : c’est ce que l’on appelle le principe d’entropie. Appliqué à l’univers, cela signifie qu’il connaîtra une mort thermique. Mais penser l’univers avec les principes de la thermodynamique ne convainc pas toute la communauté scientifique de l’époque. En effet Ernst Mach considère que parler raisonnablement de l’univers est fondamentalement impossible dans la mesure où on ne peut le comparer avec aucune autre chose. L’usage de la thermodynamique pour expliquer l’univers, comme toutes les autres tentatives voulant expliquer le tout de l’univers de façon absolue, reste absurde comme le défend le philosophe John Stallo dans son livre La Matière et la Physique moderne en 1882.

En effet une théorie physique n’a pas vocation à expliquer la réalité mais à décrire des relations entre les phénomènes. Pierre Duhem (1861-1916), physicien, historien de la physique et philosophe, défend cette idée, en l’occurrence que la science n’a pas la prétention de dévoiler la réalité mais qu’elle a pour fonction de rendre compte des phénomènes.

Si la théorie physique est une théorie explicative, qui aurait donc pour fonction de dévoiler la réalité, alors la physique se confond avec la métaphysique.

Expliquer, cela implique de spéculer sur l’existence et l’essence de la réalité ; or cette sorte de spéculation est un problème de métaphysiciens et non de physiciens. Prenons l’exemple de Stephen Hawking. Ce dernier se trompe de but lorsqu’il écrit que le destin de la physique, c’est « comprendre un jour l’ordre sous-jacent de l’Univers (2)». La science physique ne doit pas chercher l’intimité de la réalité mais doit chercher les relations entre les éléments. Cela est regrettable mais Hawking pense, de façon implicite, que le rôle de la physique est de découvrir les lois ultimes de la nature. Il fait, sans peut-être s’en rendre compte, de la métaphysique alors même qu’il pense faire de la physique. Dans les dernières pages de son ouvrage Petite Histoire de l’univers, il est en plein délire : la physique pourrait selon lui, si elle réussit à répondre à la question du pourquoi de l’existence de l’univers, déceler « l’esprit de Dieu (3)» ! Hawking, manifestement, conjugue maladroitement des concepts qu’il ne maîtrise absolument pas. Nous ne pouvons douter de ses capacités dans le domaine de la physique, néanmoins il semble qu’il ne sache pas ce qu’est son rôle.

Une théorie physique a donc une fonction représentative, c’est-à-dire qu’elle doit fournir une classification des lois qui rend compte des phénomènes : « Une Théorie physique n’est pas une explication. C’est un système de propositions mathématiques, déduites d’un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales (4)». Donc, la théorie physique est une représentation et non une explication. La représentation est un symbolisme qui permet d’établir un petit nombre de principes qui condensent une loi. Les principes permettent ainsi de déduire des propositions mathématiques et celles-ci représentent la loi physique. Représenter des lois, c’est passer de la subjectivité expérimentale à l’objectivité d’une grandeur symbolisée mathématiquement. Revenons maintenant à l’univers… Finalement l’univers n’est pas un objet comme les autres car nous ne pouvons pas le décrire simplement et dans sa totalité. Dès lors toutes les théories ayant pour but de décrire l’univers dans sa totalité ne sont que le produit d’une imagination exacerbée.

 

Les débuts d’une cosmologie scientifique

La cosmologie a ensuite connu une période propice à son développement au début du XXème siècle. En effet les progrès techniques comme les grands télescopes ainsi que le progrès théorique de la relativité générale permettent à la cosmologie de propager ses potentialités scientifiques. Car, avant le XXème siècle, cette discipline ne pouvait pas avoir de statut scientifique.

Einstein énonce en 1905 la théorie de la relativité restreinte et en 1916 la théorie de la relativité générale, la seconde complétant la première. Il insiste sur le fait que toute théorie physique doit se confronter à l’observation et à l’expérience. Avec ses deux théories, Einstein défend que l’espace et le temps forme l’espace-temps, qui est un objet géométrique suivant une courbure. Un astre serait de fait un corps en mouvement se déplaçant en suivant la courbure de l’espace-temps. De plus, tout corps ou tout rayonnement est source de gravitation et déforme par conséquent l’espace-temps.

Einstein propose ainsi en 1917 une solution cosmologique à ses théories, solution que l’on peut considérer comme le premier modèle cosmologique authentiquement scientifique.

Il met en place une caractéristique révolutionnaire de l’univers, en l’occurrence le fait qu’il soit fini mais qu’il soit dépourvu de bord. « Cela met fin à une difficulté plus que millénaire : l’impossibilité de concevoir un univers fini qui soit dépourvu de frontière, jointe à l’impossibilité de concevoir une frontière de l’espace. (5)» Toutefois, ignorant les observations de Slipher vis-à-vis de l’expansion de l’univers, Einstein conçoit un modèle cosmologique statique. Cela étant dit, à partir d’Einstein et de ses deux théories, les astrophysiciens et les cosmologues ont compris qu’il faut faire appel à la relativité générale afin de concevoir la cosmologie comme une science.

Avec les observations de Edwin Hubble dans les années 1920, l’être humain est à présent certain que son monde ne se résume pas à sa galaxie et, donc, qu’il en existe une multitude. Avant les observations de Hubble, l’astronome américain Vesto Slipher mesure la vitesse des nébuleuses spirales, spirales qu’il avait déjà identifiées comme étant extérieures à notre Voie lactée. Slipher remarque que plus les galaxies sont lointaines, plus leurs vitesses de déplacement sont élevées. Les caractéristiques de l’univers doivent alors être réévaluées ; néanmoins aucun cadre théorique à cette époque lui permet d’interpréter correctement ses calculs. Cette loi sera interprétée par le physicien belge Georges Lemaître en 1927 dans les Annales de la Société scientifique de Bruxelles. Il prend appui sur la théorie de la relativité générale et décrit un univers en expansion avec des prévisions d’expansion telles que les énoncera Hubble deux ans plus tard. En effet l’article de Lemaître passe inaperçu à l’époque… C’est Arthur Eddington, directeur de l’observatoire de Cambridge, qui permet la diffusion du travail remarquable du physicien belge. Dès lors, à partir de 1931, cela ne fait plus aucun doute que l’univers est en expansion. Cette caractéristique de l’univers est totalement conforme aux lois déjà connues ainsi qu’à la relativité générale elle-même. « L’essentiel de la nouvelle révolution cosmologique est accompli. (6)»

La cosmologie a alors son objet défini, en l’occurrence l’univers dans sa globalité, possède une propriété physique avérée, l’expansion cosmique, et est mesurable par l’intermédiaire de son taux d’expansion, aussi appelé la constante de Hubble. Dès lors les cosmologues traitent l’univers en tant qu’objet physique.

L’expansion cosmique est reconnue et Georges Lemaître en tire les conséquences en 1931 lorsqu’il propose la théorie de l’atome primitif, théorie qui précède les modèles propres au big bang. Le fait que l’univers soit en expansion suppose que le contenu de l’univers se dilue et se refroidit. Cela a pour conséquence que l’univers était, dans le passé, plus dense et plus chaud. Si nous remontons le plus loin possible dans le passé, alors nous tombons sur un univers avec une densité inimaginable dans un espace restreint, ce que nous appelons aujourd’hui le big bang. Ce début de l’univers énoncé par Lemaître, Fred Hoyle l’appelle ironiquement big bang en 1949 dans une émission de radio… et ce nom resta ! Néanmoins beaucoup de physiciens de l’époque refusent l’idée d’un univers en expansion, étant influencés par deux mille ans d’un paradigme stipulant un univers toujours identique à lui-même. De ce fait certains essayent de réhabiliter la thèse de l’univers statique pour s’opposer à la révolution opérée par Lemaître. En outre d’autres critiquent le caractère scientifique des modèles du big bang alors même que ce sont les mêmes qui en restent au vieux modèle stationnaire de l’univers et qui refusent d’admettre les observations vérifiant ces modèles.

Mais si nous pensons la rationalité de l’univers, nous devrions alors pouvoir penser un principe de raison suffisante qui explique le pourquoi de l’univers dans sa globalité. L’univers, dans les années 1930, commence à devenir un objet scientifique véritable. Mais cela ne convainc pas tout le monde. Par exemple Gaston Bachelard considère à cette époque que l’univers est un objet que nous ne pouvons pas appréhender ; car, dès que nous pensons à l’univers, notre esprit s’égare et le rêve débute. Il écrit dans L’Engagement rationaliste que « l’univers est déjà un au-delà (7)». L’explication mathématique donnerait l’illusion de pouvoir expliquer l’univers. Cependant peu de philosophes et de scientifiques critiqueront l’entreprise cosmologique.

 

Les limites d’une cosmologie scientifique

Dans les années 1930, un débat autour de la scientificité de la cosmologie voit le jour : d’un côté, il y a ceux qui pensent qu’il faut partir de principes généraux et, de l’autre côté, il y a ceux qui pensent qu’il faut bâtir la cosmologie sur les observations. Mais, dans les années 1960, avec la découverte d’un rayonnement micrométrique diffus par Arno Penzias et Robert Wilson, les scientifiques commencent à considérer la cosmologie comme une science, autrement dit comme une discipline reliant rationalisme et empirisme. Si nous considérons comme critère de scientificité le critère de Karl Popper reposant sur la réfutabilité, alors la cosmologie est devenue une science dans la mesure où les modèles cosmologiques sont réfutables.

Dans les années 1960, trois modèles cosmologiques se disputent la première place : l’état stationnaire (l’univers est éternel et immuable), le big bang (l’univers a une origine dans le temps) et l’univers cyclique (ce que l’on peut rapprocher actuellement de la théorie des cordes, théorie considérant que l’univers se décompose et renaît de ses cendres). Finalement cette dispute cosmologique ressemble étrangement aux disputes des philosophes de l’Antiquité : la théologie chrétienne considère l’univers comme ayant un âge fini ; Aristote considère l’univers comme éternel ; et les stoïciens le considèrent comme cyclique. Nous nous rendons donc compte que l’esprit humain semble incapable de penser l’univers autrement que sous ces trois modèles : « (…) l’intellect humain – faute de mieux – retombe naturellement vers ces trois schémas a priori (8)» comme l’écrit Stephen Toulmin et June Goodfield dans The Discovery of Time. Toujours est-il que la cosmologie reste pour certains le simple produit de l’imagination. Restons donc sceptiques dans la mesure où la cosmologie a des rapports très minces avec la religion car ces deux disciplines traitent de questions qui resteront sans réponse. Comme le mentionne le scientifique américain Martin Johnson, la préférence des scientifiques vis-à-vis d’un modèle cosmologique ou d’un autre relève davantage d’un choix esthétique que d’un choix rationnel (voir « The Meanings of the Time and Space in Philosophies of Science », American Scientist, 39/3, 1951). Néanmoins, après des années de querelles, les cosmologistes s’accordent sur un modèle, celui du big bang.

Ainsi, depuis environ 1965, tous les modèles cosmologiques sont décrits dans le cadre général des modèles du big bang. A présent la recherche cosmologique consiste à découvrir la structure globale de l’univers ainsi qu’à rendre compte de l’apparition et de l’évolution de tous les corps faisant partie de l’univers. Ces recherches, évidemment, entrent dans le cadre des modèles du big bang. De nos jours les paramètres cosmologiques ont acquis une précision incroyable, c’est pourquoi nous pouvons dire que la cosmologie est une science. Néanmoins les modèles du big bang ont aussi des limites qu’il faut tout de même mentionner. La question du big bang est fondamentale si nous parlons de cosmologie. Fred Hoyle, celui qui a créé l’expression, considère par exemple que le plus grand problème de cette théorie est que l’univers aurait une origine dans le temps et que nous ne pouvons pas analyser cet instant de naissance. En effet le big bang, où densité et température sont infinies, est un événement irreprésentable en physique. L’événement big bang est en réalité une singularité qui est exclue de la description propre aux modèles du big bang.

Finalement, le big bang ne représente pas le début de notre univers mais bien la limite de la description que nous en faisons.

Nous l’avons mentionné, la notion de réfutabilité est très souvent utilisée par les cosmologistes afin d’asseoir la scientificité de leur discipline. Néanmoins Karl Popper lui-même met en garde contre une approche trop naïve de cette notion, mettant l’accent sur l’augmentation du savoir par l’intermédiaire des hypothèses formulées. Vis-à-vis du modèle du big bang, les cosmologistes, au fil des décennies, ont élaboré des hypothèses auxiliaires afin de défendre ce schéma de l’univers. Ils ont ainsi inventé les notions de matière noire et d’énergie noire dans le but de combler un manque de connaissance indéniable sur l’univers et de maintenir ce modèle. Ajouter des hypothèses auxiliaires en science est tout à fait légitime ; cependant, celles-ci sont-elles fécondes ?

Au début des années 1980, les cosmologistes remarquent que le modèle du big bang est confronté à trois problèmes majeurs ; et ils résolvent ces problèmes en inventant la théorie de l’inflation. Or cette inflation, personne ne sait si elle existe, tout comme c’est le cas pour la matière noire ou l’énergie noire. Autrement dit, les cosmologistes inventent des notions et mettent des mots sur des inconnus afin de sauvegarder le schéma du big bang ; cela signifie que ce modèle repose sur des fondements plus qu’instables. Par exemple le journaliste scientifique John Horgan, dans son livre The End of Science, qualifie l’inflation de pseudoscience. Cependant, encore aujourd’hui, la théorie inflationniste reste l’un des fondamentaux du modèle du big bang. De fait, deux théories tentent de remplacer la théorie de l’inflation : la gravitation quantique à boucles et la théorie des cordes. Ces deux théories font l’impasse sur le processus de l’inflation présent dans le modèle du big bang ; cependant elles restent aussi spéculatives que cette dernière. « On pourrait presque dire que, plus ce modèle se développe, moins on sait de quoi l’univers est constitué », écrit Thomas Lepeltier dans L’univers existe-t-il ?. « Est-il raisonnable de continuer à y ajouter des ingrédients (matière noire, inflation et énergie noire) pour éviter qu’il soit remis en cause ? », écrit-il encore.

La physique telle que nous la connaissons actuellement est impuissante à décrire la singularité. Cette ignorance n’empêche évidemment pas les hommes de spéculer sur cette phase primordiale de l’univers. Certains essayent de représenter cette phase en ne prenant pas appui sur des théories physiques fondées ; ils constituent ainsi des modèles représentatifs non-scientifiques. D’autres essayent de valider physiquement cette phase en tentant de découvrir une théorie plus complète de l’univers primordial, comme Stephen Hawking. Ce dernier tente de découvrir une théorie du Tout, c’est-à-dire une théorie englobant la relativité générale et la mécanique quantique. Pour comprendre les premiers moments de l’univers, il nous faudrait trouver une théorie quantique de la gravité car la théorie classique avec laquelle nous comprenons de nos jour l’univers ne convient pas pour expliquer ce moment, moment où la densité et la gravité devaient pratiquement être infinies. Si nous trouvons un jour cette théorie, nous pourrons nous représenter physiquement les premiers temps de l’univers.

Avant les années 1980, le concept d’univers définissait le tout, la totalité de ce qui existe d’un point de vue de la physique, donc de la nature existante. A partir de cette époque, les cosmologistes ont commencé à spéculer sur la possibilité d’un « multivers » ; dans cette optique, cela signifie que l’univers tel que nous le connaissons ne serait qu’une partie d’un tout encore plus vaste. L’idée d’une multiplicité de l’univers n’est pas nouvelle ; en effet, dans l’Antiquité, Anaximandre et Démocrite avaient déjà émis cette hypothèse. Cette idée se retrouve aussi chez Giordano Bruno au XVIème siècle. De plus, Kant ou encore Boltzmann ont évoqué cette possibilité dans leurs énoncés portant sur le cosmos. Cette idée de multivers repose donc sur une spéculation spatiale tandis que l’idée d’un univers cyclique repose sur une spéculation temporelle de l’univers, comme nous allons le voir à présent. Alexandre Friedmann, en 1923, conçoit un modèle cosmologiste reposant sur l’idée que l’univers augmente, se répand, puis se rétracte afin de redevenir un point de volume équivalent à zéro – et cela indéfiniment. Car les cosmologistes savent désormais qu’une étoile s’effondre sur elle-même et, en s’effondrant, fait advenir un trou noir, du moins si elle est suffisamment massive. Certains ont alors estimé possible le fait que, des trous noirs, un nouvel univers puisse naître. Si nous prenons cette idée et que nous l’associons à l’univers, nous pouvons émettre l’hypothèse que l’univers, lorsqu’il se rétracte, rebondisse sur lui-même et donne naissance à un nouvel univers. Néanmoins nous sommes dans l’incapacité de savoir empiriquement si les trous noirs ouvrent sur de nouveaux univers ou non ; c’est pourquoi l’idée de multivers et l’idée d’un univers cyclique restent de pures spéculations.

 

Avec les techniques de plus en plus précises, les cosmologistes peuvent regarder d’une façon plus efficace le début de l’expansion de l’univers, autrement dit ce que l’on appelle le big bang. Ce phénomène a été observé pour la première fois dans les années 1930 ; or, depuis cette découverte, le big bang reste profondément mystérieux dans la mesure où aucune théorie physique actuelle ne peut le représenter. Ainsi l’univers reste encore aujourd’hui un objet mal défini. Nous pouvons en conclure que la cosmologie reste inséparable de considérations spéculatives. Cela étant dit l’idée d’un univers aux caractéristiques définies et se définissant par le concept de totalité perd de sa grandeur et de sa légitimité. Je vous laisse avec les mots de Lepeltier, qui écrit dans l’épilogue du livre cité plus haut : « A chaque fois qu’ils [les cosmologistes] ont voulu décrire la « boîte » contenant les objets célestes, ses propriétés globales se sont dérobées. La possibilité qu’il puisse en posséder est même apparue très incertaine. Aussi l’univers semble-t-il davantage être une idée, un rêve ou une illusion. Comme le pensait Emmanuel Kant, il serait une idée régulatrice nous permettant de penser les objets qui peuplent les cieux. A moins, comme le suggérait Gaston Bachelard, qu’il ne soit qu’une rêverie prolongeant notre observation du ciel. Ou encore, comme l’avançait plus récemment Jean-François Gautier, il ne serait qu’une imposture nous donnant l’illusion de percevoir l’unité de tout ce qui nous entoure. (9)»


(1) Whitehead Alfred North, Procès et réalité. Essai de cosmologie, Paris, Gallimard, 1995, p.45

(2) Hawking Stephen, Petit Histoire de l’Univers, Paris, Champs sciences Flammarion, 2014, p.112

(3) Ibid., p.155

(4) Duhem Pierre, La Théorie physique. Son objet, sa structure, Paris, Vrin, 2015, p.44

(5) Lachièze-Rey Marc, « Cosmologie scientifique », Revue de métaphysique et de morale, 2004/3 numéro 43, pages 399-411

(6) Ibid.

(7) In Lepeltier Thomas, L’univers existe-t-il ?, Paris, PUF, 2021, p.51

(8) Ibid., pp.72-73

(9) Lepeltier Thomas, L’univers existe-t-il ?, Paris, PUF, 2021, p.159

Jean


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