Les relations entre l’Union européenne et le Canada


Sur la photo : Conférence de presse commune du Président du Conseil européen Charles Michel (à gauche), du Premier ministre canadien Justin Trudeau (au centre) et de la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (à droite) lors du Sommet UE-Canada (24/11/2023)
Source : Union européenne


Le récent sommet entre l’UE et le Canada qui s’est tenu à Terre-Neuve les 23 et 24 novembre 2023  était l’occasion de déclarer de part et d’autre la force actuelle et la pérennité de la relation. Cette dernière doit beaucoup à la construction minutieuse des liens, notamment commerciaux avec le fameux Accord économique et commercial global (AEGC), plus connu sous son acronyme anglais “CETA”. Mais cette coopération doit prendre en compte les nouveaux enjeux de transition numérique, de sécurité et de lutte contre le changement climatique.

Un développement constant, prolifique et mutuellement bénéfique

Les relations entre l’Union européenne et le Canada peuvent d’abord être considérées par un profond attachement culturel et historique entre ces deux espaces. Mais la première étape officielle est assez caractéristique de la suite de la relation, puisqu’il s’agit de la signature en 1959 de l’Accord de coopération concernant l’utilisation pacifique de l’énergie atomique. C’est en effet ainsi que cette relation, privilégiée par les liens linguistiques et culturels (l’Ontario avec le Royaume-Uni et l’Irlande, le Québec avec la France), va se poursuivre, sur des domaines très précis, jusqu’à la signature d’un premier accord-cadre en 1976, celui de coopération commerciale et économique entre les Communautés européennes et le Canada.

Car le point majeur de cette relation est sans conteste la dimension commerciale qui bénéficie tant aux deux espaces. Ainsi, en 2020, l’Union européenne est le deuxième partenaire commercial pour les biens et les services ainsi que le 2e partenaire pour les investissements directs bilatéraux (après les États-Unis) du pays. En 2021, le niveau record de 60,7 milliards d’euros est atteint pour le commerce de marchandise, résultat d’une construction minutieuse des liens économico-commerciaux. Ces chiffres sont en constante augmentation, notamment avec le début de l’application provisoire de l’AEGC en 2017. En 2022, le stock d’investissements directs canadiens (IDC) dans l’Union européenne est de 248,8 Ma CA$ soit 12,5% du stock total d’Investissements directs étrangers (IDE) sortant du Canada. 

Une autre dimension importante de cette relation se trouve également dans l’histoire géographique des deux entités. La question de la pêche et des zones économiques exclusives (ZEE), notamment autour des territoires arctiques comme le Groenland (Danemark) ou des territoires ultramarins comme Saint-Pierre-et-Miquelon (France). Dès 1979, l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest accueille l’UE et le Canada qui peuvent ainsi négocier au sein d’une plateforme internationale les quotas et les évolutions de leurs besoins en ressources halieutiques. Aujourd’hui, le Partenariat océanique Canada-UE permet de renforcer ces liens essentiels depuis 2019.

La difficile concordance des normes : l’exemple du CETA

C’est pourtant également sur le volet économique que la relation entre  l’Union européenne et le Canada voit son principal point de tension. Il est donc intéressant de revenir sur l’exemple flagrant de la mise en œuvre de l’AEGC, médiatisé en Europe par son acronyme anglophone CETA. Avec des négociations lancées dès 2009 lors du Sommet UE-Canada de Prague, cet accord ambitieux a pour ambition de catalyser les croissances économiques de chaque côté de l’Atlantique en facilitant les échanges de biens, de services et de technologies et stimulant la création de nouveaux emplois et débouchés économiques pour les entreprises. Cette hausse des échanges n’est plus à prouver, depuis l’application provisoire de cet accord en 2017 après sa validation par les institutions européennes.

Toutefois, c’est tout d’abord cette question de “l’application provisoire” qui souligne le point de tension. L’Accord, négocié dans la plus grande des opacités par la Commission européenne, a été amputé dans son application provisoire par le Parlement européen de deux aspects très controversés : la gestion des ​​investissements étrangers de portefeuilles et le régime des règlements de différends entre les investisseurs et les États. La Cour de justice a validé cette amputation, si bien que seuls 90% de l'accord sont aujourd’hui appliqués, et que les deux termes évoqués plus haut sont en attente de ratification par les parlements des États membres. Sur les 27, seuls 17 ont ratifié. La Cour constitutionnelle irlandaise a même considéré cette question du règlement inconstitutionnelle et a donc désavoué cet accord dans son ensemble en 2022.

Comme le souligne Karine Jacquemart, le principal souci de l’AECG est qu’il s’agit d’un accord assez nouveau (tout comme celui avec les États-Unis, connu sous l’acronyme anglophone TAFTA) par son processus opaque d’élaboration. L’accord est ainsi imposé en bloc, sans possibilité de modifier ou d’amender les propositions négociées par les experts et spécialistes, dont certains issus de multinationales influentes. Dans le cadre de cette relation euro-canadienne, les parlements nationaux sont donc amenés à se prononcer sur un accord d’ores et déjà appliqué dans sa quasi-totalité sur le territoire et les citoyens de l’Union européenne. Karine Jacquemart rappelle également que ce déséquilibre n’est pas nouveau, puisque le Canada avait déjà attaqué l’UE devant l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour les restrictions sur l’importation de viande hormonée et d’OGM : la Commission avait alors accepté la sanction et négocié des contreparties qui satisfaisait à la fois ses États membres et le partenaire, sur un pied d’égalité.

Le défi du multilatéralisme face aux aspirations continentales

Ainsi, la relation euro-canadienne en matière commerciale pâtit de cet écart des normes, notamment agricole, entre l’espace nord-américain et le continent européen. Ceci explique ainsi pourquoi cette relation est souvent considérée comme “déclaratoire”, puisque le Canada aurait plus à gagner de se rapprocher de ses voisins continentaux, notamment les États-Unis. En effet, l’état des relations est bien souvent scruté sous l’angle de la position américaine par rapport à l’Union européenne. Les liens entre économies américaine et canadienne, proches et engagées dans une dynamique d’intégration régionale, sont en effet déterminants dans les politiques du Canada et dans ses priorités internationales.

Un exemple flagrant de cette tendance s’observe dans la politique sécuritaire. Si le Canada envisageait au cours de la Guerre froide l’espace européen comme un contrepoids à l’influence militaire américaine, ces considérations semblent avoir changées puisque le pays s’est largement placé sous la puissance protectrice des États-Unis à travers l’Organisation du Traité de l’Atlantique-nord. Il faut toutefois nuancer cette analyse par le fait que les forces armées canadiennes ont développé une véritable capacité de projection pour le maintien de la paix, et en particulier par des actions de coopération avec l’UE dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), comme c’est le cas au Sahel depuis le début des années 2010. Le concept canadien de “sécurité coopérative” trouve ainsi une véritable application dans l’action extérieure européenne et dans la gestion de crise. 

Enfin, la relation entre le Canada et l’Union européenne peut gagner en importance, notamment face aux États-Unis, par l’action résolue en faveur du multilatéralisme. Et c’est en particulier sur la question environnementale que la relation euro-canadienne semble pouvoir contrebalancer l’unilatéralisme américain, comme ce fut le cas lors du retrait des Accords de Paris par l'administration de Donald Trump. Si l’Accord de partenariat stratégique (APS), signé en 2017, prévoit ainsi un dialogue régulier sur l’environnement et la lutte contre le changement climatique ainsi qu’un soutien mutuel pour la transition énergétique, les deux partenaires s’engagent également pour la protection des populations touchées par le réchauffement climatique. C’est le cas par exemple de l’initiative Kiva dans le cadre des “Global gateways” de l’UE, qui vise à préserver les îles et les sociétés du Pacifique.

Pour conclure, il semble que cette dynamique euro-canadienne n’est pas en passe de s'essouffler. Les défis nombreux et la culture commune du multilatéralisme pour la gestion des problématiques environnementales et sécuritaires peuvent continuer à faciliter le dialogue aux plus haut niveau. Reste pour l’UE et ses États membres le besoin de concilier les besoins économiques avec la transparence démocratique, et au Canada celui de se détacher des velléités unilatérales de son puissant voisin pour considérer l’Europe comme un moteur de sa propre transition, notamment énergétique et environnementale.

Pierre Jouin



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