Éloge à Cœurs noirs, entre talent et réalisme


Source : Affiche officielle


J’ai tendance à être assez bon public, je le reconnais. J’ai apprécié les derniers épisodes de la saga Star Wars, je n’ai pas été déçu par la saison finale de Games of Thrones, j’ai même trouvé un certain intérêt à la série Willow… Pour celles et ceux qui n’auraient pas eu la chance (ou le malheur) de regarder ces productions, disons qu’elles n’ont pas vraiment répondu aux attentes de leur public.

La solution est donc peut-être de se tourner vers des plus petites productions, que personne n’attend vraiment, mais qui ont en elles de véritables pépites. C’est le cas ici de Cœurs noirs une mini-série française Amazon sortie le 3 février 2023. Laissez-moi donc vous amener au cœur d’une fiction dont le réalisme cru vous plonge dans la vie d’un groupe des forces spéciales françaises, en Irak.

 

 

Des prises de vue époustouflantes

 

Si cette série a été créée à l’initiative de Duong Dang-Thai et Corinne Garfin, sa réalisation a été confiée au talentueux Ziad Doueiri. Si son nom n’est pas des plus connus, il a toutefois été l’un des brillants assistants de Quentin Tarantino, pour des chefs d’œuvres tels que Pulp Fiction ou Inglorious Bastards. Il n’est pas étonnant alors de retrouver dans Coeurs noirs une fluidité exceptionnelle dans les scènes de combat, dans la mise en valeur d’une réalité crue et parfois sanglante, où aucune émotion n’est épargnée au spectateur.

 

Mais outre les paysages marocains splendides et les contreforts de l’Atlas qui immergent à la fois acteurs et spectateurs dans un décor proche de celui de l’Irak, le choix d’un filtre sépia et la simplicité des prises de vue permet un rendu des plus réalistes. La caméra et ses mouvements tiennent en haleine, ne se perdent pas en détails inutiles ou excentricités malvenues. On suit les yeux des analystes, les regards apeurés des femmes à travers leur niqab, les gouttes de sueur de la tireuse postée dans la colline…

 

C’est toute la tension, la chaleur et la violence sourde des interventions qui transparaît à chaque mouvement, la vitesse des courses et la finesse des plans larges qui prennent une dimension des plus efficace pour donner un écran à l’action, et aux émotions.

 

 

Ni trop d’action, ni trop d’émotion : réalisme parfait

 

Cœurs noirs, un nom oxymorique qui annonce finalement l’équilibre de cette série. Bien sûr, il s’agit de filmer la guerre, les militaires et les combats. Et bien sûr, nous sommes en France, nous avons besoin de cette touche d’émotion. Et c’est là l’une des forces de cette mini-série, faire qu’en six épisodes, qu’en six heures environ, chaque épisode ne se ressemble. L’intrigue nous plonge dans une dynamique haletante qui oscille avec intelligence entre instants de calme et intensités de violence.

 

La précision du langage utilisé, l’attention portée à l’utilisation des termes propres aux opératrices et opérateurs des forces spéciales ainsi que l’entraînement intense des actrices et acteurs pour donner à leurs personnages toute leur dimension physique et martiale contribuent à la qualité de la production. Mais l’élément qui m’a vraiment convaincu de cette qualité, c’est l’excellente utilisation des différentes langues, des communications entre les différentes armées, entre les civils et les militaires et le souci apporté à mettre en valeur des actrices et acteurs maîtrisant ces langues.

 

Le jeu d’acteur enfin n’est ni forcé, ni froid. Les faiblesses et les forces des personnages sont habilement mises en évidence et les émotions qui submergent parfois l’intrigue se plie toujours à la rigueur militaire et aux réalités du terrain. Ce sont des humains et des sentiments, mais dans un ensemble dont la mission est le but ultime, même avec les sacrifices que cela implique.

 

 

Le corps militaire, mais l’individu aussi

 

C’est finalement ce qui, à mon sens, donne ses lettres d’or à Cœurs noirs : à l’heure où en France on se tire allègrement dessus pour dénoncer « déconstruction » ou « traditionalisme », cette série vient donner un peu de concret et de pragmatisme dans l’approche cinématographique.

 

Oui, un Arabe, un Africain, un Asiatique et un Caucasien peuvent se retrouver dans les forces spéciales françaises. Ils peuvent être ouverts d’esprits ou xénophobes, misogynes ou égalitariste… Mais c’est finalement la population française dans sa diversité, ses nuances et sa complexité qui est représentée. D’une femme droite et forte à un homme complexé et dépressif, c’est l’image d’un groupe soudé et forgé par les épreuves qui transparaît.

 

En bref, ces femmes et ces hommes partagent ensemble la douleur, les épreuves, le deuil, les larmes, les moments de joie… Pas forcément les mêmes opinions ou les mêmes idées, mais ils vivent et accomplissent leur mission ensemble. On peut parler de patriotisme, ou d’une certaine idée du sacrifice, mais on ne peut pas dénier la force des liens de la camaraderie, les rapports humains et la sensibilité de chaque personnage.

 

En somme, c’est bien ce mélange de personnalité complexe et de devoir qui fait de cette production un exemple assez unique. Elle ne se contente pas de glorifier le sacrifice de soldats pour leur patrie, où de mettre en évidence les failles et les contradictions de l’armée : elle veut mettre en évidence une réalité pratique et complexe, sans se perdre en débat idéologiques.

 

 

Je n’ai en effet pas beaucoup parlé de l’intrigue en elle-même, puisque je souhaite surtout vous donner envie de regarder cette série et de vous forger votre propre opinion. En un sens, sa faible publicité est peut-être ce qui lui donnera son intérêt : nous ne serons pas influencés par des commentaires et des avis, même celui-ci.

Pierre Jouin