Éloge à Mademoiselle : entre féminisme et érotisme


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Le Parrhèsiaste vous parle aujourd’hui d’adaptation cinématographique, de sensualité, de domination masculine et de sexualité. Non, il ne s’agit pas de parler de cuir et des nuances de Grey mais d’un chef d’œuvre du cinéma sud-coréen, 아가씨 ou pour les non-bilingues Mademoiselle, réalisé par Park Can-wook et sorti en 2016. Ce long-métrage de deux heures et d’une vingtaine de minutes est une adaptation du roman Fingersmith écrit par la britannique Sarah Waters et publié en 2002.

 

 

Un hymne à la délicatesse guerrière

 

Accusé parfois de perversion et de sadisme dans ces films, Park Chan-wook offre ici un spectacle d’une profonde réflexion, d’une sensualité déconcertante et surtout d’une apparence constante de calme. Bien entendu, cette apparence reste une apparence, puisque l’intrigue est basée sur une violence sourde et institutionnalisée. Mais il n’en reste pas moins qu’à travers Mademoiselle, c’est davantage un rythme lent voire contemplatif qui est mis à l’honneur.

 

Il ne s’agit pas de dresser alors un stéréotype d’une délicatesse féminine soumise face à une brutalité masculine dominatrice. Le réel enjeu est de bien comprendre que cette délicatesse, c’est à la fois ce qui tient enchaînée Hideko aux griffes de son oncle, mais c’est ce qui lui permet de mener à bien ses plans, ses ruses et d’assouvir ses envies. Cette délicatesse, c’est aussi celle de Sook-hee qui par son talent et son amour pour l’héritière japonaise devient une sorte d’ange gardien pour une jeune femme meurtrie mais décidée.

 

La femme n’est donc pas soumise au rang d’un être sournois et uniquement portée par et vers ses caprices ni à celui d’un meuble précieux, c’est véritablement un navire de féminité et de féminisme qui fend et traverse les épreuves d’un océan patriarcal et obscène. Les deux protagonistes principaux forment ainsi une symbiose, à travers leur sensualité mais aussi leurs idées, et parviennent à s’extirper d’un univers oppressif et malsain.

 

Et cette délicatesse est là pour enclencher ce processus de révolte, pour mettre en valeur cette rage de vivre et de se libérer. À travers tous les précieux livres pornographiques de l’oncle, c’est toute la société japonaise d’alors (et parfois d’aujourd’hui) qui se retrouve face à certaines contradictions, entre progressisme et structures archaïques, entre ouverture d’esprit et sexualisation constante de la femme. La guerrière est une partie intégrante de ces deux personnages, qui laissent éclater leurs sentiments dans un ouragan purificateur.

 

 

De l’érotisme pour un sexe à double tranchant

 

La sexualité présente à tout instant dans les scènes du film revêt deux aspects qui permettent de soutenir la critique sociétale et culturelle de Par Chan-wook. D’une part, un sexe sous le prisme des lectures et des fantasmes pervers et dégradants des aristocrates japonais, se délectant de la vue et des paroles d’Hideko. D’autre part, un sexe qui s’exprime sans entrave, sans règles, dans un flot passionnel et surtout consenti.

 

Le premier est abject. Le premier est celui trop souvent mis en avant par la plupart des sociétés humaines : une sexualité à sens unique. La seule utilité de la femme, ici une japonaise de la noblesse de l’ère Meiji, est réduite à l’assouvissement du plaisir masculin. Chaque partie de son corps, de son âme, de son odeur ou encore de sa voix est entraînée voire formatée pour la pousser à accomplir son sordide destin au bon vouloir des hommes.

 

Abjecte, cette projection de la sexualité gagne également un ridicule sans pareil. La diversité des châtiments imposés, entre lecture forcée, trapèze et punitions corporelles, marquent un total manque de contrôle sur les désirs masculins pour des nobles japonais se targuant d’un « self-control » à toute épreuve. Sans parler des rivières de sueur des spectateurs enivrés, nous sommes loin des glorieux samouraïs…

 

L’autre pendant de cette sexualité, c’est finalement un érotisme passionnel et vrai. Ce n’est pas une sexualité qui a pour but de choquer. Ce n’est pas non plus une sexualité visant à exprimer des désirs refoulés et cachés (pas principalement). C’est véritablement une expression naturelle d’un amour fort et imprévu. La fameuse bande originale, « You must be a natural » en anglais, enveloppe le spectateur dans un lyrisme effréné au fur et à mesure de la montée du plaisir des deux jeunes femmes.

 

Finalement, l’homosexualité et en particulier le lesbianisme permettent à la fois une expression pure d’un désir naturel et de sentiments profonds, mais également une révolte face à un machisme ambiant présent chez la quasi-totalité des protagonistes masculins de ce long métrage. Mademoiselle donne ainsi une vision sans filtre d’une réalité complexe des relations hommes-femmes sous le prisme de la sexualité.

 

 

            Ainsi, Par Chan-wook donne ici un constat assez subtil du contraste entre l’idée de la femme asiatique, douce et réservée, et celle de la femme guerrière qui renverse les injustices de sa société. Mademoiselle, c’est un tableau pacifique marqué d’une violence sourde, mais également un fluide cinématographique qui exprime un mouvement puissant mêlant passion et révolution :  un appel à être naturel.

 

Pierre Jouin