Pourquoi la levée des brevets des vaccins divise?


 
Auteur : Daniel SchludiLigne de crédit : Unsplash

Auteur : Daniel Schludi

Ligne de crédit : Unsplash


Ce 6 mai 2021, le gouvernement américain a annoncé sa volonté de lever les brevets des vaccins. SI cette annonce a été acclamée par de nombreuses ONG et par certains États, l’enthousiasme était moins partagé par les entreprises pharmaceutiques et d’autres pays. La crise sanitaire de la COVID-19 a mis au jour les difficultés à coopérer au niveau international afin de mettre en place des mesures concertées de lutte contre la pandémie et surtout la complexité de la mise en commun des ressources nécessaires à cette lutte.

Le matériel de la lutte contre la pandémie : des biens publics internationaux ?

C’est pourquoi dans un premier temps il s’agit considérer que l’ensemble du matériel médical puis les doses de vaccin s’apparentent dès le début de la crise comme des biens publics internationaux. Ainsi, ils diffèrent en théorie des biens communs de par leur caractère non rival mais la réalité des relations internationales montre que leur utilisation provoque des externalités négatives. C’est par exemple le cas pour la répartition des doses de vaccins entre le Royaume-Uni et l’Union européenne qui suscite des sanctions à l’encontre des entreprises pharmaceutiques de ces deux entités maintenant séparées. Ces biens publics ne sont donc pas « purement » non rivaux.

Le défi pour la gouvernance va alors résider dans leur degré d’internationalité de ces biens publics internationaux. Dans le cas des ressources nécessaires à la lutte contre la pandémie, il s’agit d’un secteur associé à des risques, c’est-à-dire que ces biens sont censé réduire ces risques. La gouvernance de ces biens de santé nécessiterait alors une coordination des mesures prises par les États mais également un alignement des systèmes de santé pour que les biens soient gérés et distribués selon les mêmes critères.

Or, malgré la présence d’institutions internationale comme l’Organisation Mondiale de la Santé, ces systèmes et la production restent l’apanage des États et d’entreprises pharmaceutiques nationales. La production de ces biens publics internationaux selon l’analyse de Paul Samuelson devrait en théorie respecter la condition formelle d’efficience d’un coût marginal de production de ces biens égal dans tous les pays. Or, l’exemple des ventes de masque par la Chine à la France en mars 2020 montre bien l’inégalité dans la production des ressources nécessaires à la lutte contre la pandémie, et cela dès le début de la crise.

Une division dans la conception des relations économiques internationales

Ceci amène alors sur le deuxième défi que pose la crise sanitaire et qui révèle cette gouvernance introuvable des communs. Ce n’est plus seulement le fait que les ressources soient dépendantes des fonctionnements propres des États, c’est aussi l’idée que la forme de l’action publique internationale ne fait pas l’unanimité. En effet, de nombreuses personnalités politiques ainsi que des ONG ont appelé dans ce contexte de pandémie mondiale à faire des vaccins des « biens communs pour l’humanité », c’est-à- dire à ne pas les gérer comme des marchandises quelconques.

Mais cet appel à la solidarité, notamment envers les pays les plus pauvres et ceux qui ne produisent pas eux même de vaccin n’est pas suivi aujourd’hui. Ceci suit le triangle d’incompatibilité de Dani Rodrik, conceptualisé dans son article « How Far Will Economic Integration Go ? » en 2000. On observe ainsi l’impossible conciliation entre les intérêts nationaux, les accords internationaux et les besoins du plus grand nombre. C’est particulièrement le cas dans l’Union européenne, où la France doit respecter les dispositions des normes européennes dans ses commandes de dose de vaccins, mais mène dans le même temps une campagne de soutien vaccinal avec ses voisins à destination des pays africains les plus pauvres.

De plus, cette question de la solidarité met en confrontation la conception minimaliste et la conception maximaliste de l’accès à ses ressources. D’une part, la conception minimaliste regroupe l’ensemble des gouvernements nationaux et des entreprises fournissant ces ressources qui prennent en compte la compétition des intérêts nationaux et les bénéfices à tirer des contrats, comme les contrats entre le Royaume-Uni et le laboratoire BioNtech-Pfizer. D’autre part, la conception maximaliste, qui n’est pas celle adoptée aujourd’hui regroupe les ONG et toutes celles et ceux qui souhaitent une refonte du système économique international à l’occasion de cette crise sanitaire.

 

Pierre Jouin