Quelle démocratie ?


Crédit: Art Institute Chicago

 

La démocratie, ce mot repris par de nombreux peuples, à des époques diverses, comprend aujourd’hui un panel de définitions très large. La démocratie a connu une variabilité conséquente qui ne permet pas, par une seule définition, d’en saisir toute la complexité, tous les aspects qui lui sont attachés. Quel point commun, en effet, entre la démocratie athénienne et la démocratie anglaise du XXe siècle ? Quel point commun entre la démocratie de la première république française et la cinquième république sous laquelle nous vivons ? 

L’historien Pierre-Etienne Will propose pourtant ‘un ensemble minimal de critères’, permettant d’esquisser un dénominateur commun de tous les régimes se revendiquant comme des ‘démocraties’:

  • Des élections libres

  • Le suffrage universel

  • La présence d’un pluralisme politique

  • La responsabilité du gouvernement devant la représentation élue du peuple

  • Une séparation des pouvoirs assurées par différentes institutions

  • Un Etat de droit qui se manifeste par la défense des droits fondamentaux

Ces critères, qui rappelons le, ne sont pas exhaustifs, sont déjà suffisants pour susciter des débats cruciaux sur la forme que prendra la démocratie. C’est ce que nous allons voir avec l’opposition entre deux intellectuels américains du XXe siècle, Lippmann et Dewey. 

La démocratie selon Lippmann

Walter Lippmann, journaliste et conseiller politique de divers gouvernements américains au XXe siècle a une vision très précise de ce que doit être une démocratie efficace. 

Pour lui le constat est simple, l’être humain est inadapté au monde qu’il a participé à construire. La modernité ne fait que révéler nos failles, nos insuffisances et nos retards. En d’autres termes, la technologie évolue plus vite que notre constitution soumise au rythme lent de la biologie. 

Cela a plusieurs conséquences selon Lippmann, dont une absolument cruciale; l’être humain ne peut plus tout savoir, il existe une trop grande variabilité de sujets, de domaines techniques, de situations géopolitiques différentes. Le temps d’attention de l’Homme étant limité, le citoyen lambda est fatalement amené à être toujours en retard, incompétent et ignorant sur la grande majorité des phénomènes. 

Pour conserver une démocratie efficace, Lippmann propose donc un système mené par des experts, par des Hommes d’Etat formés pour distinguer les bonnes actions à entreprendre. Seules ces personnes choisies, dont la mission est de comprendre les enjeux et les problèmes que rencontre le pays, doivent être en mesure de faire des réformes et de changer les lois.
Ces experts qui en savent nécessairement plus doivent mener le commun des mortels, limité politiquement comme nous l’avons vu, vers une société idéale gérée parfaitement. 

La démocratie originelle ne pouvait s’appliquer qu’à une petite échelle pour Lippmann, or, à l’heure de la mondialisation, cette situation est inimaginable. Il faut donc un gouvernement d’experts, détaché du peuple, qui puisse prendre les bonnes décisions. Pour autant, il n’est pas question de sortir du cadre démocratique. Pour garder un soutien populaire, Lippmann évoque le concept de « fabrication du consentement » dans le livre Public Opinion. Le peuple doit ainsi manifester son soutien autour de symboles. Le peuple est convié, à certaines occasions, (qu’il préfère peu fréquentes) à témoigner de son soutien à ses représentants, via une élection par exemple.

« Une nation est politiquement stable quand les élections n’ont aucune conséquence radicale. » - The Phantom Public, Lippmann

La démocratie selon Dewey

John Dewey, philosophe américain contemporain de Lippmann, s’oppose absolument à ses idées sur la démocratie. En témoigne cette citation de son livre Le Public et ses problèmes

« Une classe d’experts est inévitablement tellement coupée des intérêts communs qu’elle en devient une classes avec des intérêts privés (…) Tout gouvernement par les experts dans lequel les masses n’ont pas l’opportunité d’informer les experts sur leurs besoins ne peut être autre chose qu’une oligarchie gérée en vue des intérêts de quelques uns. »

S’il part du même constat que Lippmann, à savoir que l’Homme est entouré par un monde qui évolue de manière continue, il diffère sur la réponse à proposer. 

Pour lui, l’environnement n’évolue jamais sans avoir d’impact sur l’Homme et vice-versa. Il n’y a pas de pôle complètement passif et de pôle exclusivement actif. Il y a une réciprocité permanente entre le citoyen et le monde qui l’entoure. La somme de ces citoyens, formant une masse, constate au quotidien des problèmes, des aspects à améliorer, elle a donc une connaissance à faire valoir.

C’est sur cette intelligence collective que Dewey veut compter pour permettre à une démocratie saine de vivre. Il faut que le gouvernement et ses institutions soient en perpétuelle recherche d’amélioration, sans reléguer le peuple au second rang comme chez Lippmann mais en s’appuyant sur lui au contraire pour déterminer au mieux ce qu’il faut mettre en oeuvre. 

Dewey réaffirme des principes qui sont inhérents à sa conception de la démocratie: interaction entre le citoyen et son milieu, une échelle locale active qui permet de mieux cerner les problèmes, des gouvernants qui ne doivent jamais rompre le contact avec les gouvernés et surtout une éducation centrale pour stimuler l’intelligence sociale de la population. 

Brève conclusion:

Comme nous l’avons vu au cours de cet article, les critères de ce que l’on considère être une démocratie peuvent énormément varier, certes d’une époque à une autre, d’un lieu à un autre mais également d’un individu à un autre. 

Il est donc important, non pas d’invoquer ce terme à tort et à travers, sans préciser ce que l’on y met, au risque de le vider de sa substance et de cautionner ce qui pourrait nous déplaire. 

Pour éviter cet écueil, il est nécessaire, plus que jamais, de revitaliser le terme de démocratie en ayant clairement conscience des éléments auxquels on veut qu’elle réponde. 

Emilien Pigeard



Bibliographie:

Pierre-Etienne Will et Mireille Delmas-Marty , La Chine et la démocratie

Walter Lippmann, The Phantom Public

John Dewey, Le Public et ses problèmes

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