Le Grand schisme de 1054 (1/3)


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

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Dans le vocabulaire ecclésiologique, le schisme peut être défini comme étant une rupture dans l’unité, la communion d’une religion menant à une scission. Elle marque la séparation volontaire d’une fraction de la communion ecclésiale qui rejette l’obédience commune mais qui ne renonce pas forcément aux dogmes. Dans l’histoire du christianisme, le schisme est très présent et cela depuis l’apparition et l’émergence de la religion. Le schisme de 1054 passe pour être l’un des plus important voir le plus important rencontré au sein de la chrétienté, ce qui lui vaut d’ailleurs le nom de « grand schisme d’Orient ». Il consacre l’éloignement progressif puis la séparation des Eglises d’Orient et d’Occident.

 

La rupture flagrante que l’on peut constater lors de ce schisme, est celle du 16 juillet 1054 entre la papauté, c’est-à-dire le patriarcat d’Occident et le patriarcat de Constantinople en Orient après l’excommunication de son chef, le patriarche Michel Ier de Cérulaire, ainsi que de ses collaborateurs par le cardinal Humbert de Moyenmoutier. Cependant, les tensions entre les deux Eglises sont anciennes et profondes, il nous faut remonter quelques siècles auparavant afin de mieux les comprendre.

 

En 395 à la mort de Théodose le Grand, les parties occidentale et orientale échoient à ses deux fils. Dans ce nouvel empire « bifide » il y avait la partie Ouest appelée l’Empire romain d’Occident ayant Rome pour capitale ; et la partie Est nommée Empire romain d’Orient également appelé empire byzantin par les historiens. Sa capitale sera Constantinople, ville fondée par Constantin Ier en 330. L'empire byzantin est considéré comme « romain » par ses habitants, mais est en fait un État de culture grecque, ce qui est vraiment fondamental qu’il faut garder à l’esprit.

 

Cette partition de l’empire romain a donc contribué à la différenciation de deux parties, en effet, cela va fortement favoriser le développement séparé des deux cultures et langues différentes préexistantes. La tradition religieuse va elle aussi évoluer, et ce, d’une façon distincte tant pour la partie orientale que pour la partie occidentale. L’émergence progressive de ces deux chrétientés sera principalement à l’origine des tensions, des rivalités ainsi que des conflits entre l’Occident et l’Orient.

 

Pour comprendre le grand schisme d’Orient, il est nécessaire d’analyser ses diverses causes, les évènements qui ont provoqué la mésentente ainsi que la séparation des Eglises d’Orient et d’Occident. Il nous faut également identifier la véritable nature de ce schisme et connaitre les différentes conséquences que ce dernier a eu sur les deux Eglises.

 

La question qui se pose est la suivante : Quels sont les éléments ayant amené à la mésentente puis à a la séparation de l’Eglise d’Orient et de l’Eglise d’occident et quel sont les impacts de ce grand schisme d’Orient sur ces dernières?

 

Nous verrons dans un premier temps l’émergence de deux chrétientés de plus en plus distinctes l’une de l’autre ; puis nous évoquerons plus précisément le grand schisme d’Orient lui-même et en tant que point culminant des désaccords entre l’Eglise d’Occident et l’Eglise d’Orient ; enfin nous exposerons les relations tendues menant à la rupture totale des deux Eglises.

 

 

1- L’émergence de deux chrétientés bien distinctes l’une de l’autre

 

1.1- Une volonté de dominer l’autre par la revendication de la primauté

Il est vrai que la principale rivalité entre les églises d’Orient et d’Occident réside dans la volonté de dominer l’autre par la revendication de la primauté. Il y a ici une notion de rivalité, les deux Eglises sont en compétition, elles cherchent toutes les deux à s’imposer et à s’affirmer comme unique puissance directrice de l’ensemble de la chrétienté.

Rome et Constantinople revendiquent cette place, place très prestigieuse à leurs yeux. Chaque clergé va alors se mettre en avant. L’Eglise de Rome tire ses droits du fait qu’elle a été fondée par Pierre, l’un des 12 apôtres et évêque de Rome, désigné par le Christ lui-même. Rome revendique alors la prédominance en usant de l’argument reposant sur le principe d’apostolicité.

L’Eglise de Constantinople quant à elle, n’a pas d’origine apostolique comme Rome, Antioche, Alexandrie ou encore Jérusalem. Cependant elle possède un argument d’autorité bien différent puisque celui-ci repose sur le fait qu’elle est élevée au rang de patriarcat au concile de Constantinople en 381. Ce titre ne semble guère suffisant puisque le concile de Chalcédoine qui a lieu en 451, accorde à l’Eglise de Constantinople la deuxième place derrière Rome et lui offre dans un deuxième temps une juridiction étendue sur les diocèses de Thrace, d'Asie et du Pont.

La primauté revient à Rome et celle-ci estime alors que le concile lui a attribué un grand privilège : la direction de toute la chrétienté. Cette interprétation de l’Eglise de Rome est totalement opposée à celle de l’Eglise de Constantinople qui voit quant à elle, une primauté d’honneur offerte à Rome, rien de plus. La rivalité entre ces deux Eglises est constante et s’amplifie notamment au VIIIème et au IXème siècle et va même déboucher au XIème siècle, sur le grand schisme d’Orient.

 

 

1.2- Une rupture politico-diplomatique entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident

 

Au-delà des tensions d’ordre hiérarchique entre Rome et Constantinople, on perçoit également une autre cause de leur mésentente, celle-ci serait de nature politique et diplomatique. On le voit plus particulièrement à partir du VIIIème siècle avec la menace lombarde grandissante sur la péninsule italienne. Les papes, à l’époque, ayant besoin de soutien, se tournent vers des forces occidentales et non vers l’empereur byzantin. Il est important de rappeler que le pape était sujet de l’empereur byzantin et cela depuis la chute de l’empire romain d’Occident en 476. L’empereur devait en contrepartie assurer la sécurité du pape et bien évidemment de Rome. Il y a donc ici une certaine violation de la loi de la part de la papauté, on perçoit dès lors une émancipation partielle de l’Eglise d’Occident.

 

Le pape Etienne II (752-757) se rapprocha des francs au milieu du VIIIème siècle et va même couronner Pépin le Bref en 754. En échange, le roi des francs devait libérer Rome des Lombards et lui céder des territoires conquis par ces derniers en Italie centrale ; ce que va évidemment faire Pépin le Bref. Cette relation avec les francs va progressivement marquer la séparation entre l’Orient et l’Occident. Plus tard, le couronnement impérial de Clovis va confirmer cette séparation notamment par la création d’un nouvel empire occidental bien différent de l’empire byzantin. Rome quitte alors le monde oriental pour être totalement dévouée au monde occidental. Le pape Adrien Ier (772-795), qui avait appelé Charlemagne à régner, va lui-même cesser de reconnaitre la souveraineté de Constantinople sur Rome ; ce qui va fortement détériorer les relations diplomatiques entre l’Orient et l’Occident.

 

 

1.3- Des différences dogmatiques majeures poussant à la séparation des Eglises

 

Il convient d’ajouter que la détérioration des relations entre Rome et Constantinople ne s’est pas faite uniquement à cause de différents politiques ou encore hiérarchiques, l’un des points majeurs à souligner est la dissension dogmatique qui se révèle être un élément non-négligeable dans la séparation des deux Eglises. C’est certainement de là que nait une véritable différence, une forte rivalité. La partie orientale et occidentale n’ont pas les mêmes cultures, ni les mêmes langues mais le problème central reste la dissension dogmatique des deux Eglises et cela à cause de la question du « filioque », différend théologique à propos du dogme de la Trinité.

 

Celle-ci est une expression ajoutée au crédo au VIème siècle par l’Eglise romaine, ce qui va incontestablement poser problème. Le « schisme de du Photios » au IXème siècle, va d’ailleurs en être la principale conséquence. Le patriarche Photios, en personne, dénonçait dans une Encyclique aux patriarches de l’Est, l’ajout au credo de Nicée par l’Église d’Occident qu’il considérait comme une hérésie

Ce schisme fut important puisqu’il précipitera les deux Eglises au bord de la rupture. Il est sans nul doute l’une des causes du grand schisme d’Orient, une cause que l’on peut caractériser d’indirecte.

 

Les tensions réapparaissent et s’enveniment au début du XIème siècle, en 1009 pour être plus précis lorsque le pape Serge IV, à la demande de l’empereur germanique Henri II, accepta de rajouter le « filioque » dans la récitation du crédo. Cela fit grand bruit et le patriarche de Constantinople réagit très vite en rayant le nom du pape des diptyques et en 1024, il envoie à Rome une ambassade dans le but de revendiquer le titre « d’œcuménique » signifiant titre « universel ».

 

Néanmoins, les tensions dogmatiques ne sont pas uniquement liées à la question du filioque mais aussi par les usages liturgiques bien différents entre les deux Eglises, ainsi que par certaines pratiques religieuses comme le jeune du samedi ou encore le mariage des prêtres qui est autorisé en Orient et ne l’est pas en Occident.

 

Au total, tout oppose les deux Eglises, que cela soit sur le plan politique, diplomatique ou encore dogmatique. Désormais, toutes les conditions sont réunies pour consumer l’équilibre et l’union de l’Eglise d’Orient et d’Occident. C’est d’ailleurs ce qui va se passer au milieu du XIème siècle avec la crise de l’été 1054.

Sacha Nizet