Le Grand schisme de 1054 (3/3)


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

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3- Les relations tendues menant à la rupture totale des deux Eglises

 

3.1- De 1054 à la première croisade : une entente fragile entre les deux Eglises

 

La poursuite des négociations ainsi que des relations entre Constantinople et la papauté témoignent de la faible importance des évènements de 1054. Il était crucial pour l’empereur byzantin de conserver une relation cordiale avec Rome dans le but de rester présent en Italie. C’est pourquoi les églises latines de Constantinople seront réouvertes. Dans un même temps le pape Victor II, successeur du pape Leon IX envoya une lettre amicale à l’impératrice Théodora concernant la réduction de taxe sur les pèlerins de Jérusalem. Le pape envoya alors une délégation à la capitale de l’empire romain d’Orient, et durant le voyage des délégués, le pape décède (nous sommes exactement dans la même situation qu’en 1054). Instruit par les évènements de cette crise, les délégués décidèrent de rebrousser chemin et de rejoindre prudemment Rome. On perçoit ici, une volonté de ne pas aggraver le conflit que cela soit par la papauté ou encore par l’empereur byzantin.

 

Cependant, les relations entre les deux Eglises n’étaient plus aussi bien entretenues qu’auparavant. En 1059, le pape Nicolas II, successeur du défunt Victor II, affranchit la papauté de la tutelle impériale et se tourne vers les normands, dominants en Italie du Sud, afin d’obtenir leurs serments de fidélité. Les actions de Rome, l’éloigne encore un peu plus de Constantinople. La question de réunification est alors posée mais aucune véritable solution n’émerge du côté occidental comme du côté oriental.

 

Après un épisode de tensions entre Rome et Constantinople en 1078 avec la victorieuse révolution de Nicéphore Boteniates contre Michel VII ainsi que la guerre civile remportée par Alexis Comnène quelques années après ; les relations entre les deux Eglises s’améliorèrent en 1088 avec l’élection du pape Urbain II (1088 à 1099).

 

Le patriarche Nicolas III, ouvre à nouveau les églises latines qui avaient été fermées par Alexis Comnène suite à sa mésentente avec le prédécesseur du pape Urbain II : le pape Grégoire VII. De plus, il affirmera qu’il n’existe pas de schisme entre les deux Eglises. S’en suit alors une décennie de paix et d’entente entre les deux Eglises. Cette union était nécessaire pour le pape et voyait en l’Eglise orientale un puissant allié dans la lutte contre l’Islam.

 

 

3.2- Première croisade et nouveaux conflits depuis la fin du XIème siècle

 

De 1095 à 1099 à lieu la première croisade dû en particulier au refus des Turcs de laisser passer les pèlerins chrétiens à Jérusalem en 1078. Par cette action, les Turcs violèrent directement le pacte d’Umar. Les chrétiens vont dans un premier temps s’unir contre l’oppresseur. Les relations sont froides mais polies entre les deux Eglises. La volonté d’union permanente se fait connaitre, Alexis Comnène proposa même de rejoindre Rome en 1112, afin qu’il puisse recevoir la couronne impériale et envoyer au pape un projet de réunion des Eglises. L’idée est oubliée comme les autres idées de rapprochement des Eglises, car les attentes diplomatiques et théologiques sont bien trop divergentes entre Constantinople et Rome.

 

Les relations se ternissent à nouveau avec la prise de Jérusalem par les croisés. Ces derniers choisirent l’un des leurs comme patriarche de Jérusalem : un certain Arnold de Choques, le premier patriarche latin de Jérusalem. Ce dernier va jusqu’à torturer les moines orthodoxes dans le but qu’ils se confessent de leurs péchés. Son successeur Daimbert de Pise fit pire que son prédécesseur puisqu’il chassa les orthodoxes de leurs établissements à Jérusalem et réserva l’église du Saint-Sépulcre à l’usage exclusif des latins. Les choses s’arrangèrent avec le rétablissement des droits grecs par Baudoin Ier ou Baudoin de Constantinople (empereur des latins de Constantinople).

 

Cependant un autre schisme apparut à Antioche peu de temps après la première croisade. Celui-ci se manifeste par l’existence de deux patriarches pour la Palestine, un latin occupant le siège et un grec en exil, revendiquant sa succession légitime. On perçoit alors une réelle séparation des deux Eglises, puisque les croisés créèrent des patriarcats latins pour leurs propres colonies existant en parallèle aux patriarcat grecs. La séparation est flagrante et le sera davantage les décennies suivantes. La période des croisades n’a fait que renforcer la mésentente entre l’Orient et l’Occident.

 

 

3.3- Les dernières croisades et la séparation des deux Eglises

 

Nous pouvons le constater lors de la 2ème croisade (1147-1149) qui provoqua un nouvel écart entre les deux Eglises. L’empereur byzantin Manuel est accusé par les chrétiens d’Occident d’être un traitre à la cause chrétienne après que celui-ci ait négocié une alliance avec le sultan seldjoukide Mas’ud. L’empereur avait peur d’une éventuelle attaque de Roger II de Sicile ainsi que de la présence de l’immense armée du roi de France et de l’empereur germanique sur son territoire. Il y avait des deux côtés des images, des stéréotypes cultivés depuis plusieurs décennies, les francs et les germains étaient perçues par les byzantins comme des barbares notamment à cause de leurs pillages incessants sur les territoires byzantins. Les byzantins quant à eux étaient accusés de trahison pour avoir pactisé avec les turcs.

 

La haine de l’autre ne cesse de croitre entre les deux Eglises notamment avec le massacre des latins présents à Constantinople, en 1182 peu de temps après la mort de l’empereur Manuel. La population, jalouse des nombreux privilèges octroyés aux vénitiens, génois et pisans et autres occidentaux ont décidé d’inverser la tendance et de se révolter. Les églises latines sont mises à sac et le légat du pape présent à Constantinople est assassiné. Une cinquantaine de bateaux occidentaux réussissent à fuir la capitale et vont même se venger en mettant à sac Thessalonique en 1185.

Les relations entre les deux Eglises sont alors presque mortes à cet instant mais perdurent grâce aux efforts du nouvel empereur byzantin : Andronic (1183-1185) puis son cousin Isaac II Ange (1185-1195 et 1203-1204).

 

Mais ces efforts furent de courte durée puisque Isaac II Ange fit une alliance avec l’ennemi des occidentaux : Saladin, qui avait tout juste reconquis Jérusalem et réinstallé un patriarche grec dans la sainte cité en 1187.

 

La relation entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident va véritablement éclater lors de la 4ème croisade en 1202 (jusqu’en 1204). Le pape Urbain III voulait conserver et renforcer l’union des deux Eglises mais le contrôle de la croisade lui échappe totalement. Initialement la croisade était lancée dans le but de récupérer les territoires saints sous domination musulmane mais elle débouche finalement sur la prise de Constantinople par les croisés, alliés des vénitiens.

 

Ces derniers décidèrent alors de se partager le patriarcat et l’empire d’Orient. L’empire reviendrait aux croisés et le patriarcat aux vénitiens. La situation échappe totalement au pape, ses troupes n’effectuent pas ses volontés et massacre sans pitié les chrétiens schismatiques, certes différents des occidentaux mais chrétiens tout de même. L’empire latin de Constantinople est créé en 1204 et perdure jusqu’à 1261.

 

Quelques tentatives de réconciliation sont à mentionner mais si celles-ci n’aboutissent pas. En 1206, les évêques d’Orient qui ne s’étaient pas exilés, finissent par accepter la suprématie du pape en échange d’un patriarcat grec à Constantinople. La proposition est refusée.

 

Un ultime effort eut lieu en 1234, par Jean III Doukas Vatatzes, empereur de Nicée. Les grecs étaient prêt à accepter la domination latine mais exigeaient l’omission du Filioque dans le crédo. Les occidentaux refusèrent leurs conditions et la séparation des deux Eglises s’effectue, chacune s’accusant d’être hérétiques. La rupture était apparente contrairement aux autres schismes où les ruptures étaient éphémères. La véritable rupture entre les deux Eglises s’est donc faite en 1234.

 

 

 

 

              A l’étude de tous ces évènements, et avec le recul de l’historien, on peut comprendre que les différents schismes tels que le schisme de Photios au IXème siècle, le schisme de 1054 et le schisme d’Antioche au début du XIIème siècle, furent des éléments essentiels mais en réalité seulement précurseurs du réel schisme séparant l’Eglise d’Orient de l’Eglise d’Occident.

 

In finé, ces différents schismes, toujours suivis de réconciliations partielles, ont été autant d’entailles successives à la communion des deux épiscopats, la fragilisant jusqu’à ce qu’elle cède irrémédiablement.

Même l’ultime alliance pour la reconquête des Terres Saintes contre l’ennemi commun musulman ne pourra l’empêcher ; et c’est avec la prise de Constantinople et la création d’un Empire latin de Constantinople au début du XIIIème siècle que s’achèvera en quelque sorte le dernier acte du Grand Schisme d’Orient.

 

Sacha Nizet