Suzanne Noël, une chirurgienne féministe engagée


 
Ligne de crédit : Unsplash

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Issue de la bourgeoisie de Laon (dans l’Aisne), Suzanne Noël n’était pas du tout prédestinée à la médecine. Mariée à 19 ans, elle est partie sur Paris avec son mari, lui-même médecin. Volontaire, elle entame des études de médecine en 1905, avec le soutien de son mari. A une époque où l’accès aux études pour les femmes était très restreint, elle se fait une place rapidement et est nommée externe aux hôpitaux de Paris. Elle se spécialise dans la chirurgie, tout en étant enceinte de sa fille.

C’est en 1909 qu’elle découvre les premiers actes de la chirurgie esthétique, qu’elle applique sur des volontaires. La Première Guerre mondiale éclate, et Suzanne Noël pratique la médecine alors qu’elle n’a pas encore terminé sa thèse. Elle découvre l’horreur des combats et des hommes brisés aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans des situations très précaires, elle tente de nouvelles techniques pour réparer ces « gueules cassées ».

La vie n’a pas épargné cette dame, elle perd son premier époux à la guerre, victime du gaz en 1918, sa fille par la grippe espagnole en 1922 et son deuxième mari qui se suicide en 1924. Ayant tout perdu, elle se consacre à réparer la vie des autres.

En 1925, elle finit sa thèse et décide d’ouvrir son propre cabinet de chirurgie. Elle décide de ne pas s’arrêter qu’au visage, mais aussi à toutes les autres parties du corps comme les seins, les ventres ou les fesses. C’est le début de la chirurgie esthétique que l’on connaît aujourd’hui. Elle est innovante dans ses méthodes puisqu’elle obtient des résultats probants tout en utilisant peu de moyens. Elle est notamment la créatrice de la technique de dégraissage par aspiration. Contrairement à ses confrères, elle veut se rendre accessible et s’intéresse aux compétences des autres corps de métier, comme la qualité des pansements, alors réservée aux infirmières ou bien encore les préparations pharmaceutiques. Le bien-être de son patient est primordial pour elle, elle met en place une relation thérapeutique en voyant à communiquer toutes les informations avant l’opération.

La chirurgie est pour elle « un véritable bienfait social », car il permet à chacun de se mettre accord avec son corps. Sa vision féministe du corps de la femme détonne avec les coutumes de l’époque. Elle rédige un livre, La chirurgie esthétique, son rôle social en 1926. Pour elle, la chirurgie esthétique doit être accessible à toutes les catégories sociales, puisqu’elle permet une appropriation de son corps et donc à long terme un bien-être. Mais, la chirurgie est aussi une seconde chance face à des aléas de la vie pour s’intégrer dans la société, elle opère des personnes qui ont tout perdu. Par exemple, elle a offert ses services à des ouvrières licenciées car elles étaient jugées trop vieilles pour continuer à travailler. Toujours dans cet optique d’égalité et de solidarité, elle modifie même ses tarifs selon le niveau social de ses patients. Elle accorde une grande place à la psychologie dans son travail, puisque pour elle le bien-être psychologique et physique sont liés.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle utilise ses mains pour modifier le visage de résistants ou encore de juifs, qui fuient. Après la guerre, elle accueillera et prendra en charge des juifs revenus des camps de concentration pour effacer des séquelles physiques.

Sa vision du corps de la femme fait d’elle une personne reconnue dans le domaine de la chirurgie esthétique. En 1924, elle fonde le club de Soroptimist, une association de femmes qui luttent pour le droit des femmes, à Paris, et travaillera à la création d’autres clubs en Europe, mais aussi à l’international comme à Tokyo ou Pékin. Elle voyage à travers le monde pour présenter des conférences et diffuser sa vision émancipatrice de la femme. Suffragiste militante, elle se bat pour l’obtention du droit de vote.

Suzanne Noël est méconnue du grand public, et pourtant, elle a mis en place des méthodes que la chirurgie utilise encore aujourd’hui. Sa vision féministe se retrouvait dans sa pratique médicale, à une époque où la relation thérapeutique n’était pas du tout ancrée dans les mentalités. Au cours du XXème siècle, la chirurgie esthétique a pris différents visages, et est souvent décriée. Mais, il est intéressant de voir que pour sa créatrice, c’était un moyen d’offrir une seconde chance.

Marine


Pour aller plus loin

A mains nues, de Leila Slimani et Clément Oubrerie (Les Arènes, 2020)