Tuer l’indien qui est dans le coeur de l’enfant


Crédits : Photo de Susn Matthiessen sur Unsplash


Dans la saison 3 de la série canadienne Anne avec un E, l’héroïne se lie d’amitié avec une jeune autochtone Ka’kwet. Cette dernière, séduite par la perspective d’aller à l’école et d’apprendre, part de son plein grès au sein d’un pensionnat. C’est une véritable douche froide pour l’enfant qui doit prendre un nouveau prénom européen et qui doit oublier sa langue et sa culture. Elle arrive à s’échapper et à revenir au sein de sa communauté. Cependant, les autorités viennent la récupérer malgré l’opposition de ses parents. Avec mon regard du XXIème siècle, j'ai été consternée par la suprématie politique écrasante qui éclipse les droits parentaux. Intriguée par cette injustice, j'ai exploré le traitement des peuples autochtones, découvrant simultanément la macabre découverte de tombes d'enfants sous les vestiges d'anciens pensionnats. Ainsi, je souhaite partager aujourd'hui cette période obscure de l'histoire du Canada et du Québec.

Politique d’assimilation des Amérindiens

Depuis l’apparition de la Confédération canadienne au XIXème siècle, les droits des communautés autochtones ont été systématiquement bafoués. L'adoption de la loi sur les Indiens en 1876, également connue sous le nom d"Acte des Sauvages", conférait des pouvoirs considérables au gouvernement fédéral sur les peuples autochtones. Cette législation visait à reléguer les Amérindiens au statut de citoyens de seconde zone, séparés de la population blanche. La création de réserves a contraint ces peuples nomades à s'installer dans des zones dépourvues de ressources, dans le cadre d'une politique visant à exercer un contrôle territorial. Cette approche a engendré la destruction des civilisations et des cultures autochtones au nom d'une politique d'assimilation forcée, comprenant des programmes tels que des pensionnats éducatifs.

Les pensionnats : assimiler les enfants autochtones

A l’origine, les missionnaires catholiques avaient pour mission de soigner et de scolariser les jeunes autochtones, mais aucune loi n’obligeait ceux-ci à fréquenter les établissements. Par ailleurs, à cette époque, les Canadiens entretenaient des relations diplomatiques cruciales avec les membres des Premières Nations, rendant délicate toute politique coercitive susceptible de compromettre ces liens stratégiques.

Cependant, en 1830, un premier pensionnat a été établi dans l’Ontario (anciennement Haut-Canada). Puis, le mouvement prend de l’ampleur jusqu’à connaître un “âge d’or” dans les années 1880. Au total, 139 pensionnats seront créés sur le territoire. Le dernier a fermé d’ailleurs ses portes en 1996. Les pensionnats étaient administrés par des communautés religieuses, mais ils étaient financés par le gouvernement canadien.

Entre 1870 et 1996, environ 150  000 enfants, inuits, métis ou issus des Premières Nations auraient fréquenté ce type de pensionnat. 6 000 jeunes seraient décédés à l’intérieur de ces écoles, mais connaître les chiffres exacts relève d’un défi. À titre d'exemple, en mai 2021, les corps de 215 jeunes Autochtones ont été retrouvés à Kamloops (Colombie-Britannique, sur les lieux d'un ancien pensionnat autochtone). Des recherches sont en cours, ce qui pourrait apporter de nouvelles données sur cette réalité macabre.

“Il faut déconnecter l’enfant avec leurs ancêtres, la langue, la culture, toute leur spiritualité. On doit déconnecter ça. La seule manière de le faire, c’est qu’il faut tuer l'Indien dans l'enfant”

Ce véritable déracinement à la fois linguistique, culturel et spirituel s’inscrivait donc une politique globale de colonisation en éradiquant les derniers vestiges des Premières Nations. La justification sous-jacente était la conviction que l'assimilation des enfants autochtones était cruciale pour l'établissement d'une société canadienne unifiée, mais cette politique a engendré des conséquences désastreuses qui résonnent encore aujourd'hui.

Les pensionnats : l’horreur

A la rentrée scolaire, un agent des affaires indiennes accompagné de policiers faisait le tour des communautés autochtones et rapent les enfants. Cette pratique déchirante que je réprouve avec ma mentalité de mon époque était acceptée et encouragée par les politiques. En effet, les parents autochtones n’avaient aucun droit de s’y opposer. Depuis 1920 et une modification de la loi sur les Indiens, l'assentiment des parents n'était plus nécessaire.

En les isolant de leur culture, ces établissements avaient pour but de "civiliser" les autochtones en leur inculquant des valeurs européennes à travers une éducation religieuse et des travaux manuels.

Les enfants arrivant au sein des établissements avaient les cheveux coupés, ils étaient lavés parfois à l’eau de javel pour être blanchis. Ils troquaient leur tenue traditionnelle par un uniforme. La langue maternelle était bannie, seuls l’anglais ou le français (au Québec) étaient autorisés sous peine de sévices graves.

Les conditions drastiques ont entraîné de la malnutrition et favorisé les maladies. Beaucoup d’enfants sont morts par cet environnement hostile. En parallèle, les enfants étaient brutalisés, voire même abusés. Les fratries ne pouvaient pas entrer en contact, accentuant le sentiment d’isolement. Les enfants étaient divisés par groupe d’âge, ils étaient nommés soit par des numéros soit par un prénom occidentalisé. Les liens avec leur famille étaient très limités et surveillés. De plus, la barrière de la langue isolait encore plus ces enfants, ils n’avaient pas le droit d’utiliser leur langue maternelle avec leurs parents. Les punitions étaient omniprésentes. Au total, plus de 38.000 accusations d'agressions sexuelles et physiques graves ont été recensées par la commission. La pédocriminalité était également présente, et les instances fermaient les yeux à ce sujet.

Plus d'un millier de tombes anonymes ont été retrouvées sur les sites d'anciens pensionnats. Et de nombreuses recherches sont en cours dans tout le pays - entre 4.000 et 6.000 élèves auraient disparu, selon les autorités.

Les sévices vécus, et la destruction de l’identité ont créé des traumatismes chez ces enfants, qui se sont transmises de génération en génération. Nombreux ont sombré dans l'abus d'alcool ou de drogues, souvent accompagné de tentatives de suicide.

Aujourd'hui encore, beaucoup d'autochtones vivent dans la misère et le racisme perdure, comme l’indiquent des experts et des rapports. Les Amérindiens n'ont acquis le droit de vote au Canada qu'en 1960 et dans certaines provinces, comme le Québec, seulement en 1969.

Politique de réconciliation

Une Commission vérité et réconciliation avait été instaurée en 2008 pour recueillir des témoignages sur l’horreur au sein de ces institutions. Après huit ans d'enquête et de recueil de 7 000 témoignages de survivants, le rapport de cette commission, en 2015, demande des excuses publiques du gouvernement pour ce "génocide culturel", des compensations financières, des programmes de thérapie.

“Il peut parfois être difficile d'accepter que ce qu'ils ont raconté ait pu se produire dans un pays tel que le Canada qui se targue d'être un bastion de la démocratie, de la paix et de la gentillesse partout dans le monde"

De nombreux Canadiens et Québécois aspirent à revisiter leur histoire et à comprendre la véritable trame de l'histoire nationale. Jusqu'à présent, ils percevaient leur pays comme une grande démocratie multiculturelle, dotée d'un passé glorieux et d'étendues vastes, plutôt que comme une nation forgée sur un génocide. La découverte des tombes marque un tournant significatif, soulignent les chercheurs.

Au niveau politique, les institutions reviennent sur ces pratiques et accordent enfin de l’importance à la souffrance et aux traumatismes vécus par les Autochtones. En 2015, le premier ministre canadien Justin Trudeau faisait des excuses publiques. En 2022, le Pape François réalisait un voyage pénitentiel et a présenté des excuses aux peuples autochtones pour les traitements qu’ils ont subis dans les pensionnats. Le processus de guérison est long, et certaines étapes sont franchies petit à petit. Par exemple, l'Église, a finalement rejeté en mars 2023 la doctrine de la découverte, datant du 15e siècle. Les Européens s’en étaient servis pour justifier la saisie de territoires qui appartenaient à des peuples autochtones, en partant du postulat que ces terres n’appartenaient à personne.

Au niveau national, une journée de commémoration, la Journée Nationale de la Vérité et de la Réconciliation, le 30 septembre, est devenue une fête légale en 2021 visant à promouvoir les efforts de réconciliation avec les peuples autochtones.

Cependant, la situation demeure préoccupante notamment pour les femmes autochtones qui ont sept fois plus de risques de subir des violences que les femmes blanches. Des cas de viol, de racisme, ou de manipulation d’enquêtes impliquant la police sont recensés. De plus, beaucoup attendent des mesures financières pour soutenir et accompagnerr les zones “anciennes réserves” où la drogue, l’alcool et la criminalité font des ravages.

Ces souffrances, ces histoires dans la Grande Histoire ne doivent pas être oubliés, masquées, tues. Ce qui s’est passé au Canada et au Québec s’est également déroulé dans les territoires colonisés par les européens, comme aux Etats-Unis, et se manifeste encore partout dans le monde. Je suis intimement persuadée que la réconciliation ne peut être atteinte sans un engagement sincère envers la justice sociale et la préservation des cultures autochtones. Cela implique de reconnaître la vérité de l'histoire, de traiter les survivants avec respect et dignité, et de créer un avenir où les générations futures peuvent célébrer leur identité sans peur ni honte. La route vers la réconciliation est longue, mais elle est pavée par la volonté collective de faire face à l'histoire et de bâtir un avenir où la diversité est non seulement tolérée mais célébrée.

Marine JOUIN



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