Une rencontre : Claudel et Rodin, l’amour plus triste encore que la mort
Camille Claudel, La Valse.
Dans l’inconscient collectif, Camille Claudel (1864-1943) est souvent associée à deux périodes de sa vie. La première est celle qui débute sur sa relation passionnelle et destructrice avec le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917). La seconde est celle qui inclut la démence dont elle fut atteinte au cours des dernières années de sa vie. Or, on ne peut réduire Camille Claudel à ces deux moments de son histoire ; c’est bien plutôt la plongée dans la sensibilité, la persévérance ou encore la création artistique intensément expressive qui caractérisent cette immense artiste.
Camille Claudel
Brève biographie
Née le 8 décembre 1864 à Fère-en-Tardenoise, Camille Claudel se passionne très tôt pour la sculpture et se met à travailler la glaise, en dépit de l’aversion de sa mère pour cet art. Son père, Louis Prosper Claudel, sera le seul à soutenir sa fille et demandera des conseils auprès du sculpteur Alfred Boucher, qui deviendra le professeur de Camille en 1882, peu de temps après l’emménagement de la famille à Paris. Dans cet atelier, elle y rencontrera Jessie Lipscomb qui deviendra son intime amie ainsi qu’Auguste Rodin avec qui elle aura une relation amoureuse tumultueuse.
Auguste Rodin et le mouvement dans l’art
Né le 12 novembre 1840 à Paris, Auguste Rodin s'intéresse très jeune à l’art. Il intègre l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs à l’âge de 14 ans ; sa passion pour la sculpture se développe surement durant cette période. N’étant pas accepté à l’Ecole des Beaux-Arts, il s’engage comme artisan-praticien dans divers ateliers. En 1864, il fait la rencontre d’une couturière, Rose Beuret, qui lui servira de modèle et deviendra sa compagne avec qui il aura un fils qu’il ne reconnaitra jamais. Il n’épousera cette femme qu’en 1917, l’année de leur mort. En 1875, il voyage en Italie afin de découvrir les artistes de la Renaissance. Il sera particulièrement inspiré par Michel Ange dont l’influence se retrouvera dans son travail du marbre par la technique du « non finito ». L’année d’après, il exposera son travail pour la première fois aux Etats-Unis. De retour à Paris, il se fera connaître en exécutant l’Âge d’Airain en 1877.
Dans l’Esthétique sociologique (2008) Georg Simmel (1858-1918), philosophe, écrit :
« En inventant une nouvelle flexibilité des articulations, en donnant à la surface une vie et une vibration nouvelles, en faisant ressentir de façon nouvelle les contacts des deux corps ou ce qu’est un corps lui-même, en utilisant une nouvelle diffusion de la lumière, grâce à une nouvelle manière de faire s’entrechoquer les plans, de les faires s’opposer ou coïncider, il a introduit dans la sculpture une nouvelle quantité de mouvement qui révèle la vie intérieur de l’homme, avec tous ses sentiments, ses pensées, ses vicissitudes personnelles bien plus complètement que jamais auparavant. »
La particularité de l’art de Rodin, est surement que sa création semble se détacher du bloc par elle-même, le mouvement est présent et se ressent, nous la voyons sortir devant nous. De plus, les sculptures volontairement inachevées, incomplètes, poussent le spectateur à son tour à créer par son imagination la prolongation de la partie manquante. De fait, nous ne sommes pas passifs face à l’œuvre puisque notre regard désire et participe à la compléter.
Il poursuit plus loin sur la réflexion du mouvement :
« Il est incontestable que le mouvement est le moyen d’expression le plus parfait dont nous disposions ; c’est en effet le seul attribut de notre être qui soit commun au corps et à l’âme, la mobilité est en quelque sorte le dénominateur commun de ces deux mondes qui n’ont par ailleurs aucun point de contact, c’est la forme comparable pour la vie incomparable de leurs contenus. Et cela vaut aussi à l’intérieur de l’âme même : c’est justement parce que la sensation et la perception, la volonté et l’imagination sont les mouvements de l’âme que le mouvement du corps est à même de produire le geste expressif qui la rassemble toute entière à lui »
Rodin saisit un mouvement éphémère, il ne cherche pas à fixer sa stabilité ou encore sa plénitude. Son attention est portée sur une manière de fléchir un muscle et c’est cela qu’il transpose dans l’argile. Le corps ne se dessine qu’après. Ainsi, la matière et le mouvement ne sont pas figées et se prolongent dans le temps.
La rencontre
La naissance de la passion
Camille Claudel intègre l’atelier Notre-Dame-des-champs à Paris où Alfred Boucher devient son professeur. Ce dernier doit partir en Florence, il lègue donc son cours à Auguste Rodin qui dirige enfin son premier atelier en 1882. Elle entre dans cet atelier en tant que praticienne. Leur relation débute alors en 1884 et perdurera jusqu’en 1892. Très vite, il est impressionné par son travail et dira par ailleurs : « Je lui ai montré où trouver l’or. Mais l’or qu’elle trouve est à elle »
D’élève, elle devient son amie, sa confidente et puis son amante. Ils devront toutefois cacher aux yeux de tous cette relation et n’auront de véritables moments d’intimité qu’en se retrouvant au château de l’Islette. Animés tous deux par l’amour de la sculpture, ils tourbillonneront dans une passion destructrice mais également inspirante pour leurs plus belles créations à venir.
En 1884, Rodin réalise L’Eternel Printemps, probablement inspiré par sa passion nouvelle. Deux ans après, il déclare tout son amour à Camille dans une lettre flamboyante.
Lettre d’Auguste Rodin à Camille Claudel (1886)
« Ma féroce amie,
Ma pauvre tête est bien malade, et je ne puis plus me lever le matin. Ce soir, j’ai parcouru (des heures) sans te trouver nos endroits. Que la mort me serait douce ! Et comme mon agonie est longue. Pourquoi ne m’as-tu pas attendu à l’atelier, où vas-tu ? A quelle douleur j’étais destiné. J’ai des moments d’amnésie où je souffre moins, mais aujourd’hui, l’implacable douleur reste. Camille, ma bien-aimée malgré tout, malgré la folie que je sens venir et qui sera votre œuvre, si cela continue. Pourquoi ne me crois-tu pas ? J’abandonne mon salon, la sculpture ; si je pouvais aller n’importe où, un pays où j’oublierais, mais il n’y en a pas. Il y a des moments où franchement, je crois que je t’oublierais. Mais en un seul moment, je sens la terrible puissance. Aie pitié, méchante. Je n’en puis plus, je n’en puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur.
Ma Camille, sois assurée que je n’ai aucune femme en amitié et toute mon âme t’appartient.
Je ne puis te convaincre et mes raisons sont impuissantes. Ma souffrance, tu n’y crois pas, je pleure et tu en doutes. Je ne ris plus depuis longtemps, je ne chante plus, tout m’est insipide et indifférent. Je suis déjà mort et je ne comprends plus le mal que je me suis donné pour des choses qui me sont si indifférentes maintenant. Laisse-moi te voir tous les jours, ce sera une bonne action et peut-être qu’il m’arrivera un mieux, car toi seule peux me sauver par ta générosité. Ne laisse pas prendre à la hideuse et lente maladie mon intelligence, l’amour ardent et si pur que j’ai pour toi, enfin pitié, ma chérie, et toi-même en seras récompensée.
Rodin.Je t’embrasse les mains, mon amie, toi qui me donnes des jouissances si élevées, si ardentes. Près de toi, mon âme existe avec force et, dans sa fureur d’amour, ton respect est toujours au-dessus. Le respect que j’ai pour ton caractère, pour toi, ma Camille, est une cause de ma violente passion ; ne me traite pas impitoyablement, je te demande si peu. Ne me menace pas et laisse-toi voir, que ta main si douce marque ta bonté pour moi, et que quelquefois laisse-la, que je la baise dans mes transports.
Je ne regrette rien, ni le dénouement qui me parait funèbre ; ma vie sera tombée dans un gouffre. Mais mon âme a eu sa floraison, tardive, hélas. Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci, car c’est à toi que je dois toute la part de ciel que j’ai eue dans ma vie.
Tes chères mains, laisse-les sur ma figure, que ma chair soit heureuse, que mon cœur sente encore ton divin amour se répandre à nouveau. Dans quelle ivresse je vis quand je suis auprès de toi. Auprès de toi quand je pense que j’ai encore ce bonheur, et je me plains et dans ma lâcheté, je crois que j’ai fini d’être malheureux, que je suis au bout. Non tant qu’il y aura un peu d’espérance, si peu, une goutte, il faut que j’en profite la nuit, plus tard, la nuit après.
Ta main, Camille, pas celle qui se retire, pas de bonheur à la toucher, si elle ne m’est le gage d’un peu de ta tendresse.
Ah ! Divine beauté, fleur qui parle, et qui aime, fleur intelligente, ma chérie. Ma très bonne, à deux genoux, devant ton beau corps que j’étreins.
R. »
De ce bloc de marbre laissé volontairement brut, se dégage le visage aimé aux traits polis. Ce contraste permet au sculpteur d’accentuer l’éclat de ce soleil à l’aube, qui efface la torpeur de la nuit. Dans sa correspondance avec Claudel, Rodin déclarait « Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. » Ainsi, Camille apparait pour lui comme un soleil qui vient l’illuminer, le réchauffer et lui donner une seconde vie.
S’il ne devait y avoir qu’une sculpture pour décrire Camille Claudel, ce serait surement celle de la Danaïde (1886) de Rodin, pour laquelle elle a servi de modèle. Elle sera condamnée toute sa vie à remplir un tonneau vide. Dans une lettre qu’elle lui adresse, elle écrit : « il y aura toujours quelque chose d’absent qui me tourmente »
Ainsi, on retrouve Camille Claudel dans nombreuses de ses sculptures. Les traits sont détaillés, modelés, par les sentiments et les mouvements internes de l’homme. Le regard qui parcourait la peau, les muscles, les courbes de celle qu’il a aimé est mémorisé dans les mains du sculpteur qui, malgré la rupture ne cessera d’être inspiré par celle qu’il aima avec fureur.
Entre 1886 et 1888, elle réalise le buste détaillé de Rodin. Matthias Morhardt décrivit l’œuvre ainsi : « de quelque côté qu’on regarde, les profils sont toujours justes, sans défaillance, sans retouche, sans hésitation ; (…) nulle part les muscles et les surfaces osseuses n’ont l’air creux ou soufflés »
L’inspiration mutuelle dans l’union amoureuse : une fusion
L’amour nous inspire, nous élève, nous donne ce souffle tant recherché ; il n’est alors aucunement étonnant que leur production créatrice se déploie et donne lieu à une passion à quatre mains. Les deux artistes ont un style propre, mais semblent créer à partir d’une seule et même source. Le style devient très similaire puisque l’inspiration est mutuelle, si bien que l’on ne parvient plus à différencier leurs œuvres.
Passion destructrice
En août 1886 Camille écrit à Rodin :
« Cher ami, je suis bien fâchée d'apprendre que vous êtes encore malade, je suis sûre que vous avez encore fait des excès de nourriture dans vos maudits dîners, avec le maudit monde que je déteste, qui vous prend votre temps et votre santé, et ne vous rend rien. Mais je ne veux rien dire, car je sais que je suis impuissante à vous préserver du mal que je vois (...) Il me semble que je suis si loin de vous ! Et que je vous suis complètement étrangère ! Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente ».
Camille est en Angleterre au printemps 1886. Au retour, elle demande à Rodin de signer un contrat qui stipule qu’il ne devra jamais engager une apprenti femme dans son atelier et moins encore l’épouser. L’homme, désespéré est prêt à tout pour la reconquérir, il accepte et signe le contrat.
Camille lui demandera de l’épouser, plusieurs fois, même s’il lui répond toujours par la négative. Pourtant, il lui fait une promesse par écrit : « Après l'exposition, au mois de mai, nous partons pour l'Italie et y restons au moins six mois, commencement d'une liaison indissoluble après laquelle mademoiselle Camille sera ma femme ». Sûrement soulagée par ces mots, elle se mettra à produire Sacountala (ou l’Abandon), mais il ne tiendra jamais cette promesse. En 1888, les nombreuses visites à Rose Beuret mettent de la tension dans la relation. Déchiré par un choix que l’homme ne put faire, le couple se sépare au début des années 1890.
La scission
La valse
L’œuvre est initialement nommée Les Valseurs puis elle devient La valse. Conçue entre 1889 et 1893, elle correspond à la période fougueuse avec Rodin mais fut achevée après sa fin. La sculpture représente un couple de danseurs qui dans un tournoiement violent, s’enlacent délicatement. Le mouvement en spiral est accentué par le drapé partant des flancs de la danseuse qui fut rajouté à la demande de l’inspecteur des Beaux-Arts afin de cacher la nudité des corps dans le but de correspondre aux bonnes mœurs de l’époque. La base rectangulaire qui leur sert d’appui semble vaciller par ce mouvement qui manque de renverser les deux figures. Une forte sensibilité se dégage de l’œuvre par cette main qui n’est pas entièrement saisie mais à peine effleurée ou encore par la position torsadée de la danseuse qui s’abandonne à son partenaire, l’entrainant dès lors jusqu’aux limites du point d’équilibre, vers un vertigineux abîme. Les deux têtes, tendrement se touchent, le torse nu de la danseuse est renversé gracieusement, son cou est à découvert, frissonnant par le frôlement des lèvres de son cavalier, elle semble être dans l’attente d’un baiser sous-jacent. Ces deux corps qui par l’union s’embrassent sous l’intensité de l’émotion, ces deux êtres perdus dans un monde de solitude, sont emportés par la férocité d’un rythme qu’eux seuls entendent et découvrent.
Octave Mirbeau décrivit l’œuvre de manière juste et sensible : « Enlacés l’un à l’autre, la tête de la femme adorablement penchée sur l’épaule de l’homme, voluptueux et chastes, ils s’en vont, ils tournoient lentement, presque soulevés au-dessus du sol, presque aériens, soutenus par cette force mystérieuse qui maintient en équilibre les corps penchés, les corps envolés, comme s’ils étaient conduits par des ailes. Mais où vont-ils, éperdus dans l’ivresse de leur âme et de leur chair si étroitement jointes ? Est-ce à l’amour, est-ce à la mort ? Les chairs sont jeunes, elles palpitent de vie, mais la draperie qui les entoure, qui les suit, qui tournoie avec eux, bat comme un suaire. Je ne sais pas où ils vont, si c’est à l’amour, si c’est à la mort, mais ce que je sais, c’est que se lève de ce groupe une tristesse poignante, si poignante qu’elle ne peut venir que de la mort, ou peut-être de l’amour plus triste encore que la mort. »
L’influence de Rodin est encore présente mais le style propre de Camille Claudel se ressent dans la projection des deux figures dans l’espace. La valse est une œuvre marquante, qui nous saisit par son expressivité et son intensité. On ne peut réduire cette sculpture à l’allégorie du couple des deux artistes. Toutefois, la tristesse de l’instant du drame qui se dérobe et reste suspendu devant nos yeux, amène le contemplateur à la question suivante : Camille Claudel pressentait-elle cette chute inévitable qui la menait jusqu’au bout du gouffre ?
L’Âge mûr
L’Âge mûr (1902) apparaît souvent comme une double allégorie puisqu’on peut y voir une dimension autobiographique en ce qui concerne la relation entre les deux artistes. Cependant, si l’on regarde l’œuvre dans sa portée universelle, elle semble souligner la destinée humaine : celle d’un homme ayant traversé les âges de la vie qui délaisse à présent une jeunesse l’implorant de rester.
Avec cette sculpture, Camille Claudel se démarque par le traitement qu’elle fait de l’espace. En effet, elle joue avec le vide, positionnant ses personnages de sorte que la scène prenne plus de place et se prolonge dans la durée. De plus, les figures qu’elle sculpte semblent avoir une vie intérieure propre à elles et chargée d’expressivité, mais que ce passe-t-il donc en leur sein ? Il suffit d’observer le visage de l’implorante qui nous guide vers une diagonale reliant ses mains à celles de l’homme qui l’abandonne sans se retourner. Dès lors, la tension émotionnelle de cet instant nous saisit complètement.
Le renversement
L’ombre de Rodin
L’ombre de Rodin tombe petit à petit, Claudel parvient à se dissocier de lui et emménage dans un atelier non loin, o elle travaille ardemment chaque jour. Sa rupture avec le sculpteur est nécessaire afin qu’elle se dépasse dans son art. Au cours de la seconde moitié du XIX siècle, Paris assiste au fleurissement de l’art japonais. Claudel s’imprègne donc des cultures d’Asie et d’Extrême Orient.
Entre 1893 et 1905, Camille s’inspire des « okimono », petites scénettes sculptées majoritairement en ivoire. Elle composera des œuvres avec beaucoup de modernité, notamment, Les Causeuses. En effet, lorsque les sculpteurs d’antan faisaient le choix du marbre, du bronze ou encore du bois, Camille Claudel entreprend de travailler l’onyx. Son talent se fait découvrir, elle parvient à travailler et dompter de nouvelles matières comme dans La Vague où elle mélange l’onyx avec le bronze, choix intéressant de la matière au service du sentiment. On peut également noter La Petite Châtelaine qui est une création assez moderne puisque la lumière vient de l’intérieur.
Si cette période est riche artistiquement parlant, elle est également difficile financièrement. Toutefois, cela ne l’empêchera pas de sculpter. En 1905 elle écrit à Gustave Geffroy : « Il semble naturel que je doive tout endurer, maladies, manque d’argent, manque de toute affection ce n’est jamais trop et ce qui pour une autre femme serait déjà un calvaire, pour moi n’est qu’un petit détail : il faut marcher quand même et ne pas demander grâce. »
L’asile
Dans son atelier, elle se met à tout détruire comme en manifeste le journal de son frère en 1909 : « À Paris, Camille folle, le papier des murs arraché à longs lambeaux, un seul fauteuil cassé et déchiré, horrible saleté. Elle, énorme et la figure souillée, parlant incessamment d’une voix monotone et métallique. »
A la mort de son père en 1913, Camile n’est pas informée par sa famille et ne peut donc assister aux obsèques. Elle sombre définitivement dans la folie. Elle sera diagnostiquée comme atteinte d’une psychose délirante et sera internée quelques jours plus tard dans un asile. Elle accusera Rodin de l’espionner et de lui voler son travail. Finalement, elle se refusera à toute production créative. Pourtant, il viendra la voir mais cela provoquera une crise et les médecins lui interdiront la visite puisqu’elle le tient pour responsable de son malheur. En 1914, le musée de Rodin occupe l’hôtel Biron et Mathias Morhard demande au sculpteur d’y réserver une salle à Camille Claudel. Il accepte de présenter les œuvres de Camille mais Paul Claudel refusera cette proposition, sûrement pour éviter un scandale en mesure d’entacher sa carrière diplomatique. Ce n’est qu’en 1949, qu’il se résoudra à réclamer au Musée Rodin une rétrospective de l’œuvre de Camille.
La vie d’artiste de Camille Claudel s’achève. En 1913 elle écrit à Charles Thierry : « C’était bien la peine de tant travailler et d’avoir du talent pour avoir une récompense comme ça. Jamais un sou, torturée de toute façon, toute ma vie privée de tout ce qui fait le bonheur de vivre et encore finir ainsi. »
« C’est affreux d’être abandonnée de cette façon, je ne puis résister au chagrin qui m’accable »
Lettre au Docteur Michaux, 1918
Camille passa dans cet asile trente années de solitude sans aucune visite de la part de sa mère ou encore de sa sœur, si ce n’est celle de Paul, qui vint la voir une dizaine de fois. Même après l’amélioration de sa santé mentale, elle ne sortit pas. En 1943, année de sa mort, elle écrivit à sa mère : « Tu es bien dure de me refuser un asile à Villeneuve. Je ne ferais pas de scandale comme tu le crois. Je serais trop heureuse de reprendre la vie ordinaire pour faire quoi que ce soit. Je n'oserais plus bouger, tellement j'ai souffert »
Paul Claudel vint lui rendre visite quelques semaines avant sa mort et dit de sa sœur qu’elle était dans un état « d’extrême décrépitude ». Camille Claudel décéda en mai 1943 à la suite de malnutrition, aucun membre de sa famille n’assista à son enterrement. Comme de nombreux artistes, elle ne connut pas une grande gloire de son vivant, toutefois, un musée lui est désormais consacré depuis 2017.
Nina Kasaeva

