Eloge du froid


Crédits : Unsplash (@satyanchawla)


        Il fait encore nuit. Je me lève. J’enfile un haut et un bas. Je regarde par la fenêtre : j’aperçois des arbres dénudés, de la neige tombant de nulle part, une fine couche de verglas et des habitants habillés jusqu’au cou qui mettent un pied devant l’autre en hésitant un peu. « La belle saison, la saison du bonheur, pour un homme de rêverie et de méditation […] c’est l’hiver, et l’hiver dans sa forme la plus rude » : merci Charles ! Voilà une réaction (peut-être) déraisonnable face aux haineux de l’hiver et du froid (il est totalement givré celui-là !).

         Le froid est souvent défini comme l’absence de chaleur. Définition négative : le froid reste un impensé alors même qu’il sauve. Il faut dire que l’homme a maîtrisé la chaleur – le feu – avant de maîtriser le froid… Le froid, même dans notre imaginaire, a une connotation négative. Il renvoie à de l’indifférence (« il est froid » veut dire « il ne ressent rien ce bougre ! »), à de la dureté psychologique, à une rigidité en somme (« froid » : rigidus en latin, signifiant raide, rigide, a donné le mot « frigidaire » dans la langue de Molière). Rendez-vous compte ! il n’existe pas même un antonyme de « frileux » ! Plus subtilement pourrait-on dire, le froid ne s’assimile pas à l’absence totale d’émotions mais à la maîtrise de celles-ci… maîtrise : encore une fois une négation, ici une soumission. Plus généralement, le froid est lié à la mort. Nous luttons par le feu contre le froid, c’est-à-dire contre la mort. Le froid revient cependant sur le devant de la scène ; certaines personnes le recherchent même, à cause de la durée interminable de nos étés. Et elles ont bien raison ces personnes !

            Dans le froid, le corps de l’homme, être homéotherme, fait tout pour maintenir sa température interne : le corps tremble, grelotte, cherche à tout prix un abri. On cherche la chaleur, autrement dit un confort, du réconfort, devant la cheminée flamboyante de nos grands-parents campagnards, dans un chocolat chaud parfumé à la cannelle avec amour, dans un bar chaleureux où la présence des hommes et de l’alcool réchauffe les cœurs. En cela, le froid est ce qui nous pousse à nous réunir intimement, à nous embrasser aussi, à faire l’amour peut-être. Le froid, température de la jouissance, est à la source d’expériences de vie intenses, des expériences de vivre ensemble.

           La basse température se sent et, par cette sensation, nous nous sentons nous-même vivre, et vivre mieux. Le froid nous émeut aussi et nous pousse à agir, à nous dépenser, donc à manger de la chère plus consistante (choucroute, raclette, tartiflette, foie gras, cassoulet, pot-au-feu, blanquette de veau, fondue de camembert, pintade farcie !), à boire davantage (vin rouge, bière brune, ou même une bonne gnôle qui arrache la gorge et qui fait pleurer !) et à bouger, pour ne pas devenir un bonhomme de neige, le nez en carotte. Alors nous mangeons, buvons et bougeons ! le froid demande un certain dynamisme alors que le chaud suppose le repos (il n’y a qu’à voir ceux qui attendent l’été pour bronzer sur les plages de la Méditerranée !). L’hiver, saison du froid par excellence, est de ce fait la saison d’une lutte perpétuelle du corps, qui se fatigue plus facilement certes, mais qui se revigore avec plaisir par de la nourriture généreuse et bien terrestre. Cela donne du corps à la pensée…

         A la fin de la journée, d’une journée où l’on a marché la tête contre le vent glacial, où l’on a eu les mains gelées, où notre souffle a dégagé de nombreuses brumes, on rentre enfin dans notre foyer, dans sa chaleur émouvante… et cela est la véritable récompense d’une journée de dépense hivernale. Il nous faut un hiver canadien !

Jean


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