Un Je avec l’Autre


Crédits : Unsplash (@sonance)


         Je n’est rien sans l’Autre : il se définit dans son rapport à l’Autre. Sans l’Autre, le Je ne peut pas se prouver à lui-même qu’il est, il ne peut pas s’éprouver, et il s’écroule. Imaginez une île coupée du monde avec un être humain. Imaginez-le sur son gros rocher (tout nu, même, si vous voulez !). Comment arrive-t-il à échapper au délire, à empêcher l’état psychotique d’émerger ? Il va créer un Autre, certes fictif, mais un Autre tout de même, qui va lui permettre de survivre. C’est l’Autre, qu’il soit effectivement là, mythologique ou en devenir, qui perpétuellement me fait vivre, qui m’aide à persévérer dans ma propre existence. Je n’existe que dans la mesure où un regard se pose sur moi : Je n’est pas seul, n’est jamais seul. Sans l’Autre, je m’enterre dans le désert du désêtre ; avec l’Autre, j’existe ; avec l’Autre-ami, je m’élève ; avec l’Autre-aimé, je touche le ciel ; avec l’Autre-Dieu, je suis au-delà de l’être. Quot libras in homine solo ? Quel est le poids d’un homme seul ? « Que pèses-tu seul à seul avec ta sensation d’exister ? » Merci Valéry !

            Avec un autre, on discute, on se dispute, on déconne, on se trompe, on ment, on se lie (jusque dans la lie !), on se laisse, on se lasse, on part à l’aventure. Pas de vie véritable, donc, sans un autre qui nous fait face, qui nous juge, qui nous fait rougir, qui nous fait plaisir. Sans cet autre, sans son regard, sans son toucher qui m’enveloppe, je serais en danger. Et que serait une vie sans don de soi pour l’Autre, une vie sans recevoir absolument rien de l’Autre ? Une vie sans l’Autre, sans altérité, est une vie sans don, par conséquent une vie qui n’en est pas une.

            Il ne suffit pas de donner, de déployer sa puissance vers autre chose que soi, il faut aussi savoir recevoir les dons de l’Autre. Vivre, authentiquement, c’est donner et recevoir, recevoir et donner, encore et toujours, toujours et encore. La vie est un Je avec l’Autre.

            Et ne nous oublions pas ! Car l’Autre ultime, c’est soi-même : « Je est un autre ». Le moi qui vit est-il le moi qui crée ? Toutes les voix qui se chevauchent. Toutes les postures contradictoires. Toutes les paroles paradoxales. Tout cela, en nous, à tire-lar-ego ! Cultivons ce don et changeons-le en chef-d'œuvre de labeur ! Celui qui est pleinement en accord avec lui-même a-t-il vraiment une vie digne d’être vécue ? Pouvons-nous même être en accord avec ce que nous sommes ? Il faut reconnaître avec entrain et enthousiasme que nous avons bien le Diable en nous ! Le Je n’est vivant qu’à condition de se mouvoir dans l’inconsistance, la grammaire seule nous donnant l’illusion de son socle stable. Gardons-nous seulement de ne pas tomber dans l’Autre, de ne pas s’enliser dans le On et, donc, de ne pas accepter l’inauthentique. Gardons-nous aussi de ne pas s’aliéner sous son regard omnipotent… A croire qu’il faut toujours être aux aguets : toujours déjà avec les autres et sans cesse dans l’inquiétude d’être dévoré par la déchéance de leur rencontre quotidienne.

            Avec eux, je suis inauthentique ; sans eux, je ressens une incomplétude. Et puis, il y a ce doute : comment ma voix peut-elle entrer en relation avec une autre voix ? Et puis, il y a cet enfer : comment me détacher du jugement d’autrui sans me décomposer ?

Jean


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