Les Grands Portraits : Tamerlan, la terreur des steppes


 
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Tamerlan, sur la Fresque dynastique des Timourides de Tashkent


N’êtes-vous pas fatigué de côtoyer des personnes normales, communes, de ne pas entendre parler d’exceptions ? De vivre une époque si morose et peu digne d’intérêt ?

Vous en conviendrez, cette position est au mieux étrange, au pire indéfendable et idiote. Et nous serions d’accord ! Mais je me dois d’avouer ma fascination pour les Anciens, les personnages historiques, face à la futilité des contemporains. C’est pourquoi je m’en vais vous conter, dans ce premier d’une suite de Portraits, la vie, l’Histoire de personnes d’exception, qui ont forgé notre Monde actuel, si fascinants qu’on pourrait les croire sortis d’une fiction.

Ce premier Portrait portera sur un homme quasiment tombé dans l’oubli en Europe, mais pourtant d’une très grande importance historique. Un homme de lettres et de sang, de monuments et de tours de crâne, de prospérité et de guerres terribles : Tamerlan, le Grand Émir Timouride.

Tamerlan, le Grand Émir

Replaçons les choses dans leur contexte : nous sommes en 1336, dans l’actuel Ouzbékistan. La région, comme la plus grande partie de l’Asie et de l’Europe de l’Est, est dominée depuis un siècle par les Mongols, les héritiers des conquêtes de Genghis Khan et de ses successeurs. En Asie centrale et en Perse, le temps est à l’anarchie et aux guerres permanentes entre des entités politiques divisées et faibles. Les deux grands khanats de la région, divisions indépendantes de l’Empire Mongol, ne sont plus à même de maintenir l’ordre et l’autorité : l’Ilkhanat Perse s’est effondré, et le khanat djaghataïde, de l’Ouzbékistan à l’actuelle Mongolie, n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut.

Nous sommes donc en Transoxiane, région riche et peuplée, sur la Route de la Soie, entre l’Amou-Daria et le Syr-Daria. Elle a acquis son indépendance sur les mongols, se séparant du khanat djaghataïde et est dominée par la noblesse locale.

Sa jeunesse, la naissance d’un mythe

C’est ici que né Tamerlan, un Turc sunnite, à Kesh, au Sud de Samarcande, la plus grande ville de la région. Cet homme est une anomalie : il est doté d’une force inouïe, fait 1m76, un géant dans cette région du monde, et possède une chance hors du commun, tout au long de sa dangereuse vie. Son éducation en fait un homme pieux et savant.

Dès ses 16 ans, il se met au service du puissant Émir de Transoxiane, et le sauve très rapidement d’un complot, en dénonçant les conjurés. Il obtient la main de la petite fille de l’Emir et un commandement militaire. Mais, en 1358, le même Émir meurt assassiné, et l’anarchie fait son grand retour dans la région. Tamerlan doit s’enfuir, il attendra que le calme revienne.

Rapidement, l’instabilité locale pousse un khan, chef mongol, à envahir la Transoxiane. Tamerlan en profite pour négocier avec lui, et obtient de devenir le nouveau gouverneur de Transoxiane. Mais à peine son nouveau maître repartit, il doit faire face à un soulèvement de la noblesse, et s’enfuit à nouveau. Il devra patienter, que le khan mate la révolte, pour sortir de l’ombre, devenant le principal conseiller du nouveau gouverneur.

Mais, mécontent de sa nouvelle position, Tamerlan tente de soulever la région contre les envahisseurs mongols, il échoue et part 3 ans vivre une vie de bandit et de mercenaire. Il attendra la mort du khan pour prendre le pouvoir, avec son beau-frère, qu’il finira par faire assassiner, devenant le seul maître de la Transoxiane. Il a alors 34 ans.

Le début de règne et des conquêtes

Tamerlan va passer 10 ans à renforcer son pays, à le pacifier et à préparer ses futures conquêtes. S’installant dans sa capitale Samarcande, il en fera un centre économique et culturel majeur, centre et berceau de la Renaissance Timouride, il y fera bâtir nombre de monuments, et y déporter beaucoup d’artistes et d’artisans lors de ses conquêtes.

C’est à partir de 1380 que Tamerlan commence sa vie de conquête triomphale, passant sa vie en campagne, à cheval. Jusqu’en 1398, il étend son empire de la Géorgie à l’Afghanistan, de l’Ouzbékistan à l’Irak, lors de campagnes terribles, meurtrières et teintée d’exactions, comme à Ispahan où il fait mettre à mort 70 000 personnes, construisant 45 tours de crânes de 1500 têtes. Il chevauchera même, à plus de 60 ans, jusqu’à Kiev, qu’il mettra à sac, à 3500km de sa capitale.

Mais sa véritable renommée, celle qui a poussée Voltaire et Goethe à écrire sur lui, Marlowe à écrire 2 pièces de théâtre où il est le héros, et Haendel à lui dédié tout un Opéra, s’est forgée durant ses 2 dernières campagnes, 2 folies humaines, 2 épopées retentissantes.

La campagne d’Inde, le mythe gagne en force

La première de ses campagnes s’est faite contre l’Empire de Delhi, un Empire décadent et moribond, mais encore le plus riche du monde. Il emmène son armée faire le siège de Delhi, où il fait exécuter 100 000 prisonniers qui le gênent dans les manœuvres. C’est devant la ville, à 63 ans, qu’il reçoit une flèche empoisonnée, qu’il continue tout de même son chemin avant de se sentir mal et être sauvé in extremis par son médecin.

Cette campagne a un retentissement mondial, de la Chine à l’Europe, en particulier à cause du sac de Delhi, où plusieurs dizaines de milliers d’habitants sont massacrés. Le sac de l’Inde du Nord rend l’armée de Tamerlan extrêmement riche et puissante, s'enorgueillant désormais d’éléphants de guerre, de sacs d’or et de pierreries, de milliers d’esclaves.

Contre les Ottomans, Tamerlan le sauveur de l’Europe

La seconde campagne touche bien plus l’Europe. En effet, la puissance de Tamerlan y sera bien plus ressentie que pour la campagne d’Inde. L’Émir fera face durant sa dernière campagne aux forces des Mamelouk, les Sultans d’Égypte qu’ont combattus les croisés, et le jeune Empire Ottoman, déjà puissant et s’étendant en Europe. Nous sommes en 1400, et la situation est tendue en Orient : les Puissances Européennes poussent Tamerlan à entrer en guerre contre les Ottomans, à la tête desquels se trouve Bayazid, le sultan invaincu, et ayant conquis les Balkans.

Tamerlan entre en guerre, écrase les Mamelouk alliés aux Ottomans en prenant Antioche, Damas et la Syrie, faisant en 1 ans mieux que les Croisés en 3 siècles, puis fond sur l’Anatolie, prend Ankara et y écrase l’armée de Bayazid, le capturant dans la foulée (il meurt de désespoir en captivité).

Cette dernière campagne, glorieuse et rapide, est alors connue partout dans le monde connu : le Roi de France envoie ses félicitations, tout comme le Roi d’Angleterre, la Castille (future Espagne) envoie un émissaire à la Cour de Tamerlan, émissaire qui écrira plus tard ses Mémoires, donnant de précieuses informations sur cette époque et ce personnage. En écrasant les Ottomans, il laisse à Constantinople, et aux derniers restes de l’Empire Romain, 50 ans de survie.

La fin de vie : Tamerlan ne s’arrête jamais

Nous sommes ainsi en fin 1404, Tamerlan est retourné pour la 19ème fois en vainqueur à Samarcande. Il a 69 ans, est boiteux, handicapé d’un bras, alcoolique, malade. Mais il fait lever une dernière fois son armée et la commande en direction de la Chine, dans l’intention de l’écraser elle aussi. Seule la mort va l’en empêcher : début 1405, il meurt sur la route.

Durant sa vie, cet homme aura voyagé de la Mer Égée au Gange, jusqu’à Kiev et à 200 km au Nord de Jérusalem, et fondé un puissant Empire attaché à son nom. Cette mort signera son glas, entre révoltes, et guerres de succession. C’est l’arrière-petit-fils de Tamerlan, Bâbur, qui fondera un nouvel empire, l’Empire Moghol, s’étendant sur toute l’Inde, et que les Occidentaux craindront jusqu’au XVIIIème siècle, et que les Britanniques finiront par supplanter avec leur Raj.

J’espère que ce portrait vous aura plu, et fait découvrir un homme d’exception par ses qualités et ses méfaits. Cependant, ce portrait est trop court pour développer toute son envergure. C’est pourquoi je vous renvoie à cette vidéo que j’ai eu la chance d’animer grâce au streamer PetitPoucet, qui m’a permis d’aller bien plus en profondeur et en précision. Je vous conseille d’y jeter un œil si ce personnage vous intéresse.

De plus, je me suis basé sur l’œuvre de Jean Paul Roux, le spécialiste français des Turco-Mongols, sur son Tamerlan, que je recommande vivement.

Merci d’avoir tenu jusqu’ici !

Nicolas Graingeot


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Bibliographie :

Jean Paul Roux, Tamerlan, Fayard, 1991

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