Penser Dieu dans un monde où « Dieu est mort »


Crédits : Unsplash (Marek Piwnicki)

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L’un des caractères fondamentaux de la modernité est l’absence de divin, en effet le ciel des modernes est un ciel vide. Les normes de vie se fissurent et ce sur quoi l’existence reposait s’est effondré. La question de Dieu, dans le domaine de la métaphysique, ne renvoie plus seulement aux preuves de son existence dans la mesure où la question historique de la mort de Dieu a pris le relais de la question de l’existence de Dieu. Cependant la question métaphysique des preuves de l’existence de Dieu et la question post-métaphysique de sa mort semblent inséparables dans le sens où la seconde question est en continuation avec la première.

Le fait de dire que Dieu est mort est déjà proprement paradoxal car cette formule énonce un événement impossible et improbable, en l’occurrence que l’Être suprême et immortel est mort. Mais de quel Dieu parlons-nous lorsque nous abordons la question de sa mort ? Car le vrai Dieu est l’Eternel, par conséquent il ne peut pas mourir ; donc, celui qui est mort est forcément un autre Dieu. Serait-ce un faux Dieu, autrement dit une représentation métaphysique et rationnelle servant à résoudre un problème philosophique ? Une image ? Ou bien encore la manifestation d’un non-lieu ineffable ?

L’enjeu est de déterminer ce qu’est Dieu, si Dieu peut être et ce que renferme le nom de Dieu. Car la philosophie a tendance à arraisonner Dieu, à décider de ce qu’est Dieu mais le problème de cette démarche réside dans le fait que le divin n’est pas pensé à partir de lui-même mais à partir de concepts d’idée pure. Le geste le plus fécond semble résider dans le fait de voir le divin tel qui se donne lui-même. D’un côté dire que Dieu est mort, cela ne signifie pas que Dieu, le divin et ce qui est sacré ne seront plus, en effet sa mort n’est qu’une étape, une perte qui ne durera pas éternellement. Autrement dit, la mort de Dieu n’est qu’une étape mais le sacré demeure. Donc sa mort est un élan car cette affirmation négative doit provoquer une recherche nouvelle ce que peut être Dieu, c’est-à-dire ce que peut être le sacré, les valeurs fondamentales sur lesquelles la société repose.

Mais d’un autre côté il ne faut pas négliger l’approche langagière présente dans la formule « Dieu est mort », en effet le discours qui annonce que Dieu est mort ou qu’il ne l’est pas reste un discours humain, autrement dit le problème de l’existence ne se pose que dans l’ici-bas. De plus, dans le langage humain l’affirmation et la négation sont les deux faces d’une même réalité.

Donc, Dieu n’est pas mort car Il serait vraiment mort si nous arrêtions de le dire, de dire qu’il est mort. Tant que nous parlons de la mort de Dieu, Dieu reste présent dans son adieu. Cela signifie que dans la mort de Dieu, dans le parler négatif de Dieu, dans le non-Dieu, le nom de Dieu persiste et s’affirme en tant qu’innommable. En ce sens, Dieu ne s’affirmerait que dans la négation.

 

La mort de Dieu n’est qu’une phase dans la vie des valeurs

La mort de Dieu n’est qu’une phase dans la vie des valeurs, dans la vie de ce qui est sacré, autrement dit le sacré persiste dans la mort de Dieu. Dieu n’est pas mort tant qu’on parle encore de sa mort car sa mort n’en est pas une dans la mesure où Dieu – c’est-à-dire nos valeurs – dans sa mort, est la condition de création de nouvelles valeurs, d’une nouvelle forme de sacré. Car dans son activité purement pratique, la société moderne est essentiellement irréligieuse. Une redéfinition de l’objet religieux voit donc le jour, il existe en effet une recherche d’un objet religieux qui n’aliénera plus les êtres humains, ces derniers transposant dans la figure de Dieu leurs qualités. Dans la mesure où Dieu est l’extériorisation de l’essence humaine, il faut que l’humain se réapproprie ses propres qualités et ses propres déterminations. Ainsi, selon Feuerbach, la religion est la prise de conscience des pouvoirs infinis de l’espèce humaine. Cela signifie que, dans les perfections et les attributs du divin, l’être humain saisit ses propres perfections et ses propres attributs. Autrement dit l’humain est aliéné dans la religion car il ne prend conscience de lui-même que dans une réalité étrangère à laquelle il a transmis son essence. Par conséquent dire que Dieu est mort signifie reconduire les valeurs dans un projet philosophique alliant le rationnel et l’immanence, c’est-à-dire substituer l’adoration de Dieu à la divinité de l’humain.

Du fait de la mort de Dieu, l’espèce humaine entre dans une phase nouvelle et plus haute de son histoire. Dieu, ce qu’on vénère, ce pour quoi on peut se sacrifier, perd de son autorité à l’époque de Nietzsche, ce qui lui fera dire que « Dieu est mort ». Mais la mort de Dieu est la condition de possibilité d’une nouvelle étape dans le développement des normes de vie. Dans la mort de Dieu, Dieu n’est pas mort dans le sens où sa mort permet le renouvellement du divin, du sacré. L’ancien Dieu est mort et cette mort ouvre de nouvelles possibilités du sacré et l’illumination d’une « nouvelle aurore ».

 

Dire « Dieu est mort », c’est encore et toujours dire Dieu

Dans la mort de Dieu, le sacré de Dieu subsiste : Dieu demeure toujours dans sa propre annihilation. Cela se retrouve dans la logique même du langage qui sauvegarde toujours l’affirmation dans la négation. Dire non, dire le non de Dieu, c’est encore et toujours dire Dieu. Dans la structure du langage la négation et l’affirmation se superposent ; en ce sens parler de la mort de Dieu, c’est encore le parler en termes humains. Nier ou affirmer Dieu, c’est toujours employer le mot Dieu, c’est toujours réfléchir à Lui, c’est toujours parler de Lui.

Car la structure de la pensée contradictoire est construite à partir de la pensée initiale et d’un mot qui se rapporte à la négation. Cela signifie qu’un énoncé doit pouvoir allier l’affirmation et la négation dans une perspective qui dépasse le « oui » et le « non ». Donc, il existe une possibilité d’affirmation dans l’énoncé « Dieu n’est pas », le positif se cachant toujours dans le négatif. En effet le négatif se trouve déjà dans le positif et le positif est sous-jacent au négatif. Dans la mort de Dieu se trouve la possibilité de Dieu, autrement dit une proposition négative n’est pas une pensée fausse ni une pensée qui n’existe pas. Dire que Dieu est mort ou qu’il soit encore vivant, ce n’est jamais que dans le discours de l’ici-bas, dans le discours terrestre que l’on parle de lui. Dieu est seulement dans la mesure où nous pouvons le parler. Parler de Dieu c’est parler Dieu et à chaque fois que nous Le parlons, nous présupposons le non de Dieu.

En définitive dans la négation de Dieu, Dieu reste nommé et la véritable négation de Dieu est le fait qu’Il soit le nom de l’innommable dans la mesure où sa nomination reste dans l’indéfini et dans l’invisibilité.

 

Dieu ne reste présent que dans son adieu

Dieu n’est pas mort tant que l’on parle encore de sa mort car l’affirmation négative de sa mort renvoie à l’indicible le concernant, autrement dit Dieu est l’indicible sur lequel rien ne peut être affirmé. Le nom de Dieu est la manifestation de l’insuffisance du discours humain : on ne peut rien dire de Dieu mais on ne peut pas ne pas dire Dieu. Autrement dit Dieu est la référence impossible et absente du discours qui paradoxalement ne peut pas être réduite au silence.

En effet l’expression de la transcendance s’exprime uniquement par des propositions négatives. La négation est à la fois une élimination et la positivité de reconnaître le non-lieu, ce que l’on ne peut pas nommer. Nous sommes dans l’incapacité de dire ce dont nous parlons lorsque nous disons Dieu mais nous sommes condamnés à rester dans le langage et par conséquent dire Dieu. L’objectif est de chercher à penser et à dire Dieu sans l’être car l’être constitue encore un nom or Dieu est sans nom.

Dieu ne fait pas partie de l’être mais fait partie de l’innommable, en effet dans l’Exode Dieu dit à Moïse « Je suis celui qui suis », autrement dit comme tel on ne peut pas invoquer Dieu ni le prier. Nommer Dieu, c’est finalement déjà l’appeler mais dans le même temps mentionner Dieu, c’est toujours être renvoyé à son absence. Dieu reste au seuil de la pensée, Il est ce que je peux dire mais ce dont je ne peux rien penser. Le discours négatif sur Dieu est une phase d’une démarche affirmative plus globale, c’est-à-dire que Dieu est le rejeton du sacré, le nom qui le défie toujours.

 

En ce sens mourir est le destin de Dieu et son mouvement est une chute. En effet nommer, c’est toujours sacrifier une part du vivant, or on ne peut rien sacrifier de Dieu, Dieu restant dans la non-vie et son nom restant imprononçable. Dieu est un terme dans lequel persiste toujours la négation dans la mesure où nous ne pouvons définir que ce que Dieu n’est pas. En définitive le nom de Dieu est un non-nom mais le non de Dieu est la condition de possibilité de Dieu.

Jean


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