L’Architecture en Perse : le majestueux témoin de notre passage sur Terre


L’entrée de la Mosquée du Cheikh Lotfallah, à Ispahan, Iran, construite vers 1620.

Crédit : Farid Jebelli


L’Architecture est un vaste, très vaste sujet. Traiter de tous les styles, de toutes les spécificités géographiques, culturelles, religieuses est une mission presque impossible. Il y a tout simplement trop à dire. L’infinité de cet Art si particulier dépasse de loin ce que notre esprit est capable d’accepter.

Donc nous créons des genres, des styles, autant de cases à remplir que l’on souhaite. Et cela nous rassure, pas seulement en architecture, mais aussi dans tous les arts, toutes les idées, tous les sujets.

Je m’en vais donc, à travers un certain nombre d’articles et d’illustrations, vous parler en profane que je suis des Arts en Perse, sur de longues périodes de temps, allant des origines du peuple Perse à la période musulmane. 

Commençons par l'architecture, parmi les disciplines les plus anciennes et les plus sophistiquées que l’on retrouve en Perse.

L’antiquité en Perse : une architecture majestueuse et impériale

La première Architecture, déjà imposante et raffinée

A l’origine, il n’y avait rien. Puis vinrent, vers 10 000 avant J.C, les plus anciennes traces d’architecture dans cette zone géographique s’étendant du Golfe Arabo-persique au Sud, à la Caspienne au Nord, et du Tigre et de l’Euphrate à l’Ouest à l’Indus à l’Est. Ces indices font de la Perse l’un des premiers lieux d’urbanisation au monde, sous l’influence première des cités du Berceau de la Civilisation, telles Ur, Akkad ou Babylone.

Ainsi, vers 7000 av. JC, est construite une ziggourat, un temple mésopotamien répandu (dont celle de Babylone inspira la tour biblique de Babel), à Tépé Sialk, dans le centre du pays. Cette découverte nous prouve l’ancienneté des techniques architecturales en Perse, qui furent parmi les premiers à utiliser les mathématiques et la géométrie pour construire de grands monuments. Ces constructions étaient à l’époque, et pour de nombreux siècles, les plus hautes et imposantes du monde

L’époque des Empires préislamiques est le premier Âge d’Or de l’architecture perse

Excusez-moi, il nous faut faire un peu d’histoire pour comprendre ces évolutions.

Les Achéménides, les premiers des Grands Perses

Le premier empire perse, Achéménide, est fondé en -550 par Cyrus Le Grand, premier homme à unifier la Perse, et imposer sa loi sur le Moyen-Orient, jusqu’à la frontière de L’inde, l’Egypte et l’Anatolie. Grâce à cette conquête, par lui puis par ses successeurs, la Perse devient le centre d’une immense richesse, qui se concentre dans les principales villes, Pasargades, Suse et Persépolis, les trois lieux de résidence du Roi des Rois.

C’est ainsi qu’au fil des siècles, les différents souverains s’affairaient à rendre leur Palais et d’autres bâtiments toujours plus riches, plus beaux, plus imposants, montrant ainsi aux représentants des différentes provinces de l’Empire la toute puissance de leur maître.

Nous pouvons voir ici les ruines du Palais royal de Persépolis.

Ce palais était recouvert de hauts-reliefs représentants différentes scènes historiques de l’Empire. Sur la façade principale étaient représentés les soldats les plus loyaux du Roi, les fameux Immortels.

Ces scènes servaient aussi à rendre hommage aux différents peuples de l’Empire.

Ici, l’iconographie est directement tirée d’un mélange entre des représentations babylonienne et perse, montrant le mélange s’opérant dans ce vaste ensemble politique.

Les Majestueux Lamassus akkadiens de la Porte des Nations.

Mais parfois, les Perses récupéraient dans les villes conquises des trésors, comme ces taureaux androcéphales de l’antique empire akkadien (déjà antique pour les Perses, les Akkadiens les précédant de plusieurs siècles). Ces sculptures imposantes gardaient l’entrée de la Porte des Nations, le passage obligé pour toute délégation venue rendre hommage au Grand Roi, et présentant sur ses murs les nombreuses provinces de l’Empire.

Cependant, les Achéménides ne construisaient pas uniquement des Palais pour représenter leur puissance. Ils investirent beaucoup de leurs efforts dans des complexes funéraires grandioses, dont le plus connu est celui de Naqsh-e Rostam, non loin de Persépolis. La particularité de ce monument est qu’il s’agit de 4 gigantesques tombes royales Achéménides creusées à même la roche de la montagne. Cette même montagne est aussi ornée de bas-reliefs datant de l’époque Sassanide (de 224 ap J.C à 651 ap J.C), au nombre de 7, et qui représentent des instants marquants de l’histoire des perses sassanides (leur lutte centenaire contre les Romains entre autres).

Naqsh-e Rostam, Le Mausolée des Grands Rois Achéménides (Darius Le Grand avec certitude, et possiblement Xerxès Ier, Artaxerxès Ier et Darius II)

Malheureusement, la chute des Achéménides face à Alexandre Le Grand provoqua la destruction de nombreuses constructions. Nous pouvons citer la décision du roi macédonien de mettre le feu à la ville de Persépolis, qui perd en quelque jours et pour l’éternité sa grandeur. N’en restent aujourd’hui que des ruines, comme le Palais Royal. Et le même processus fut à l’œuvre dans les autres grandes villes, comme Suse ou Ecbatane. Il ne reste aujourd’hui presque plus rien des constructions de cette époque, si ce n’est ces ruines qui ne font qu’évoquer la gloire passée de ces monuments.

Le Style Parthe et ses déclinaisons : Apogée et fin de l’architecture préislamique

Ce style architectural se divise en 3 grandes périodes :

. Le style séleucide, qui correspond à la période où les Grecs d’Alexandre Le Grand régnèrent sur la partie centrale de l’ancien empire, entre -330 et -63.


L’une des rares constructions séleucides encore debout.

La période séleucide n’est pas une époque faste pour l’architecture. En effet, entre les conflits intérieurs et les guerres entre les Diadoques (les Etats divisés héritiers de l’Empire d’Alexandre), ils n’eurent pas beaucoup de ressources à allouer aux constructions. Et les rares encore existantes restent en grande majorité des constructions grecques, où l’influence orientale n’a pas eu d’emprise majeure.

. Le style parthe : les Parthes étaient un peuple qui reconquit petit à petit les territoires occupés par les grecs en Perse et instaura un nouvel état, qui dura de -247 à 224 après J.C. Très influencés par ces derniers, on retrouve leur influence dans leurs constructions.

Ruine du Temple d’Hatra, importante ville religieuse Parthe, vers IIème siècle ap J.C

. Le style Sassanide : les Sassanides sont les derniers rois perses non musulmans. Entre 224 et 651 ap J.C, ces derniers voulurent retrouver la grandeur des Achéménides, ce qui les poussèrent à lutter contre l’Empire Romain pendant de nombreux siècles. Leur architecture est la mieux conservée de la période préislamique, en particulier car celle-ci fut reprise par les empires musulmans, et ce dès la chute des Sassanides en 651. Ils remirent au goût du jour l’ancienne architecture perse, en y ajoutant cependant de nombreux nouveaux éléments, dont le principal est le dôme, une technique perfectionnée par ces derniers et qui servira de modèle à l’architecture islamique, en faisant l’une des principales caractéristiques des mosquées et autres palais musulmans.

L’arche de Ctésiphon, dernier monument debout de la capitale Parthe Ctésiphon, vers IIème siècle ap J.C

Ce dôme fut pendant très longtemps le dôme sans soutien le plus haut du monde, et est considéré comme une construction majeure dans l’histoire de l’architecture, en particulier l’architecture musulmane.

L’ère musulmane voit l’architecture perse se surpasser et produire des merveilles

Dans les siècles qui suivent la conquête, l’influence perse s’étend aux nouvelles possessions musulmanes

En 651, les armées de l’Islam font chuter les derniers rois zoroastriens de Perse, et incorporent la Perse dans le jeune et de plus en plus étendu Empire arabe.

La puissance de la culture perse est telle que rapidement, elle est adoptée par les nouveaux maîtres des lieux. C’est ainsi que l’écriture perse est devenue le modèle de l’écriture arabe, tout comme pour la musique et ici, ce qui nous intéresse aujourd’hui, l’architecture.

Comme dit précédemment, de nombreux éléments perses se retrouvent dans l’architecture arabo-musulmane, et en particulier les dômes, qui devinrent rapidement le symbole des mosquées.

Ce style syncrétique de l’Islam en Perse porte le nom, entre 651 jusqu’au Xème siècle, de style khorassanien

La Jameh Mosquée d’Ispahan, construite en 711 et principale représentante du style khorassanien

Le style Razi, ou la beauté avant la tempête

Entre le XIème et le XIIIème siècle, la Perse vit un âge d’or culturel : les scientifiques sont parmi les meilleurs du monde, l’art bat son plein et ne cesse d’innover et de s’améliorer. C’est dans cette atmosphère qu’apparaît le style Razi, qui couvre les dynasties Samanides, Seldjoukides et l’Empire du Khwarezm.

Le mausolée des Samanides, construit vers 900.

Ce tombeau représente une grande innovation car il fait partie des premiers exemples de fine décoration dans l’architecture perse. Il imite le tressage d’une vannerie tout en réutilisant le dôme traditionnel perse.

Durant cette période, l’architecture produit de superbes bâtiments, surtout religieux, et intègre de nouveaux éléments à ses techniques. C’est ainsi qu’apparaissent les modèles floraux et végétaux entre autres.

L’architecture sous les Seldjoukides, anciens peuple des steppes grandement influencé par la culture Perse

Après la conquête mongole de la Perse, de nouvelles influences se font ressentir

La tempête a balayé la Perse. Entre 1219 et 1221, les hordes mongoles de Genghis Khan ravagent le pays, massacrent des milliers d’habitants, rasent des villes entières, dévastent les campagnes. Cette catastrophe est une époque sombre pour le pays, et pour ses arts : de grandes villes connues pour leurs beauté et prospérité sont mises à genoux, pillées et parfois même, détruites entièrement, comme Rei.

L’instauration et le maintien de l’Ilkhanat, le gouvernement mongol, permet à la Perse de lentement se relever de cette épreuve. Comme tous les envahisseurs avant eux, les Ilkhans finissent par succomber à l’influence culturelle perse, jusqu’à l’embrasser entièrement, comme en témoignent les différentes constructions qu’ils commandèrent sous leur règne.

Le mausolée de l’Ilkhan Ölziit à Soltaniyeh, 1302-1312

Ce monument est considéré lui aussi comme extrêmement important dans l’histoire de l’architecture perse, car c’est le premier dôme à double coque au monde. Cette nouvelle technique permet de renforcer la coupole, et donc de l’agrandir et de l’élever.

Après la chute de l’Ilkhanat en 1357, il faut attendre la fin des divisions internes de la Perse pour voir de nouveaux l’art et l’architecture reprendre du poil de la bête (si j’ose dire).

Vous avez peut-être déjà entendu parler de Tamerlan, le conquérant turco-mongol. Il sema la mort et la destruction dans de nombreux endroits, et particulièrement en Perse, où il détruisit en grande partie Ispahan. Cependant, cet homme était très intéressé par les arts, et entre autres l’architecture. Il fit déporter un grand nombre d’artisans, d’architectes et de savants dans sa capitale de Samarcande, au Nord de la Perse.

C’est ainsi qu’il participa à l’apparition de la Renaissance Timouride, un nouveau souffle pour les arts après des siècles de grandes difficultés.

Le Régistan de Samarcande, composé de 3 madrassas (établissement d’enseignement religieux).

Les travaux de cette place commencèrent sous l’impulsion de Tamerlan, qui souhaitait faire de sa ville un centre religieux et intellectuel de premier ordre.

Vue panoramique sur les différents bâtiments anciens de Samarcande, depuis le sommet du Régistan

Après la tempète et les ravages, des siècles de développement et le pinacle de l’architecture perse.

Le style Isfahani est le dernier et le plus récent des styles traditionnels de l’architecture perse. Ce style est divisé selon les différentes dynasties qui y ont participé, à soir les Safavid, les Afsharid, les Zand et les Qajar. Revenons plus en détail sur ces différents points.

La dynastie Safavid arrive au pouvoir en 1501, remplaçant ainsi les descendants de Tamerlan. C’est la première dynastie perse régnant sur le pays depuis la chute des Sassanides 900 ans plus tôt. Dans cette optique, les Safavid se posent en mécènes des arts perses, favorisant la remise au goût du jour des anciens thèmes perses. Cela participe grandement à l’apparition de ce style Isfahani. Aujourd’hui, la plus grande partie des monuments anciens en Perse datent de cette période et correspondent à ce style.

Ce style repose sur une simplification des formes et l’utilisation de beaucoup de couleurs.

L’intérieur du palais de Chehel-Sotoun, à Ispahan, datant du règne Safavid, vers 1647.

Nous pouvons d’ailleurs noter que ce nouveau mouvement architectural inspira même en dehors de la Perse, et en particulier en Inde, où la Dynastie Moghole (créée par les descendants de Tamerlan, et donc influencés par la culture perse) l’utilisera pour créer de nombreux bâtiment, dont le plus connu est le Taj Mahal, dans le pur style Isfahani.

Ce style se maintient même après la chute des Safanid en 1756, et continue de croître à travers la construction de différents palais, mosquées, minarets. Cette évolution se retrouve à la fin du XVIIIème siècle, avec la construction, entre autres, de la Mosquée d’Agha Bozorg.

On y retrouve ici les principales caractéristiques de ce mouvement : une symétrie parfaite, un dôme à double coque, des arches ciselées, un jardin intérieur, des mosaïques colorées de bleu persan.

Après ce mouvement architectural, les bâtiments en Perse, bientôt l’Iran, s’occidentalisent très rapidement, et perdent de leurs spécificités. De nos jours, l’Iran est entré dans une ère de modernisme, à l’image d’innombrables autres pays. Et cela n’est pas le sujet de cet article.

Au final, que retenir de tout cela ? Vaste question ! Mais le plus important reste, à mon sens, de voir que, en terme d’architecture, le reste du monde n’a rien à envier à l’Europe, qui a tendance à être excessivement mise en avant. La Perse reste l’une des patries les plus prolifiques en la matière, l’une des premières et surement l’une des plus importantes. Ne serait-ce que le concept même de jardin, un espace de nature au milieu de la vie humaine, qui est apparu en Perse avant de se diffuser partout dans le monde grâce à la conquête arabe. D’ailleurs, le terme perse de jardin, pairiḍaēza, a donné dans nos langues modernes le terme de Paradis.

La Perse est un réservoir bouillonnant d’idées et de magnificence à travers les siècles. Et, à mon avis, l’un des pays qui met le plus à l’œuvre l’idée du raffinement, de la beauté, et de l’Art. Soyez averti : cet article n’est qu’un commencement.

Nicolas Graingeot



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