Le "Silicon Shield", l'assurance-vie de Taiwan


Jeter un œil autour de vous : quel point commun entre votre PC, votre téléphone, votre montre connectée, l’écran de votre ascenseur, la voiture électrique au coin de la rue, bref tout ce qui est électronique ? 

L’une des réponses se résume à “semi-conducteurs”. Sans ces petits composants industriels, adieu nos nouvelles technologies. Voilà pourquoi ils sont aujourd’hui considérés comme parmi les éléments les plus importants de l’économie mondiale, et ceux avec la ligne logistique la plus cruciale.

Depuis les années 1970s, c’est à Taïwan, la belle île poudrière d’Asie orientale, que s'est en grande partie concentrée cette industrie. 60% de la production mondiale, et 90% des puces les plus avancées, voilà le résultat de 60 ans d’efforts privés et gouvernementaux. Et si, jusqu’à il y a quelques années, la production de semi-conducteurs ne faisait pas parler d’elle en dehors des revues scientifiques et financières, c’est aujourd'hui devenu un sujet international grand public.

Alors certes, les semiconducteurs sont importants, mais pourquoi s’attarder dessus ? Assez simplement, c’est parce que ce sont ces petites puces qui permettent à Taiwan de rester hors de portée de la Chine continentale. Sous les semi-conducteurs couvent les plus grandes tensions géopolitiques mondiales.

Part du marché de la production de semi-conducteurs par compagnies en Q2 2023 (en % des revenus)

Source : counterpointresearch.com

Et, vous l’avez lu dans le titre, cet état de fait porte un nom : le “Silicon Shield”, le Bouclier de Silicone en français. De quoi briller lors de votre prochain dîner mondain !


C’est ce “Silicon Shield” qui donne une raison aux Etats-Unis (et au monde) de vouloir défendre l’indépendance de Taiwan (défendre la démocratie la plus efficace d’Asie, anecdotique !) : personne ne veut voir la chaîne d’approvisionnement s'effondrer, les usines rasées ou entre les mains du Parti Communiste. Et n'oublions pas que les puces dernières générations sont celles qui permettent la production et l’utilisation des tout derniers armements les plus avancés. S’il fallait une raison de plus…

Mais il ne faut tout de même pas croire au maintien permanent du statu quo ! Les plus grandes puissances mondiales, Chine et Etats-Unis en tête, tentent de rapatrier les connaissances et la production chez eux, pour ne plus dépendre de cette région instable du monde.

Il y a à peine 10 mois, en Décembre 2022, la plus grande entreprise de semi-conducteurs taïwanaise, TSMC, a ouvert aux Etats-Unis, en Arizona, une usine de production toute neuve. D’ici à 2026, TSMC a promis d’investir 40 milliards de dollars et d’ouvrir une nouvelle usine.

Cependant, c’est un boulet au pied de TSMC, qui voit ses coûts de production (et en premier lieu les coûts humains) grimper en flèche (55% plus cher qu’à Taiwan). Mais bon…il faut bien faire plaisir au Tonton américain !

Du côté chinois, le Parti a déjà investi 50 milliards de dollars pour augmenter sa production domestique. L'objectif est de produire maison 70% de leur propre consommation d’ici à 2025. Et pour ce faire, il n’hésite pas à drainer les talents taiwanais en promettant de hauts salaires et de bonnes conditions de vie (ce qui a de quoi attirer, partageant déjà presque la même culture). Cette fuite des cerveaux (relative) a poussé le gouvernement taiwanais à promulguer des lois pour rendre le travail local encore plus attractif. Il a aussi rendu illégal l'exportation des machines de production et des puces les plus avancées vers la Chine.


Et c’est là que l’on prend conscience de l’importance de cette industrie pour Taiwan : une grande partie des décisions gouvernementales répond aux besoins des semi-conducteurs et de leurs employés. Par exemple, en Septembre 2023, Morris Chang, le cofondateur de TSMC, pointait du doigt le fait que même le réseau de Train à Très Grande Vitesse taiwanais avait été fait pour permettre un transport rapide des ouvriers et des cadres d’un site de production à l’autre.

Alors bien sûr, le fait que des entreprises taïwanaises ouvrent des usines à l’étranger inquiète une partie de l’opinion locale, qui a peur de voir s’effriter le “Silicon Shield”. Mais il faut garder à l’esprit que ce ne sont que les productions les plus basiques qui quittent l’île. Taiwan garde la mainmise sur les secrets de production des puces dernier cri. Au final, il y a plus d’usines étrangères qui ouvrent à Taiwan (ASML, Micron, Applied Materials) que l’inverse.

Cependant, il ne faut pas non plus croire que le “Silicon Shield” met Taiwan à l’abri de toute menace : il n’est jamais impossible que le Parti Communiste Chinois décide du jour au lendemain d'envahir Formose, quitte à disrupter l’économie mondiale toute entière (même si beaucoup de Taiwanais vous diront que la Chine continentale montre les gros bras de temps en temps depuis 1949 sans jamais rien faire de plus que d’envoyer quelques bateaux au large et mener des campagnes de désinformation en ligne). Il faut tout de même avouer qu’il est plus probable que la situation reste inchangée encore quelques années de plus : Argent fait loi dans la matière.

Quel défi supplémentaire pour garder l’avantage à Taiwan ? Bien que l'île domine la production mondiale, elle ne représente presque rien dans le processus de design des puces, dont les entreprises sont surtout américaines (AMD ou NVidia pour n’en citer que deux). Pour réellement contrôler l’industrie toute entière, Taiwan doit investir dans ce nouveau combat économique (chose faite par le gouvernement en Septembre 2023, qui a décidé de verser des subsides somme toute confortables à toute entreprise de design de puce moins avancées.

Bref, le “Silicon Shield” est loin de devenir obsolète !

Nicolas Graingeot


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