Bravo Taiwan !

Le choix de la raison contre celui de la peur


Une fin de semaine chargée pour l’île-poudrière !

Samedi 12 Janvier, l’élection présidentielle (et législative dans le même temps) dont on vous parlait ici comme l’un des évènements à suivre cette année, a opposé 3 candidats :

  • Lai “William” Ching-Te, du Parti Démocratique Progressiste (DPP), un pro-indépendance notoire et politicien ayant occupé presque tous les postes à responsabilité du gouvernement.

  • Hou Yu-Ih, du Kuomintang (KMT), plutôt en faveur d’une reprise du dialogue avec la Chine continentale pour réduire les tensions dans le détroit, au prix d’une acceptation de la souveraineté nominale de Beijing.

  • Ko Wen-Je, du Parti du Peuple de Taïwan (TPP), se présentant comme une troisième voie, et ayant mis en avant durant sa campagne ses réformes intérieures (production d’électricité, salaires, logements) tout en soutenant une ligne parallèle à celle du Kuomintang vis-à-vis de la Chine continentale.

Et les résultats, tombé dans la soirée, sont sans équivoques :

  1. Lai “William” Ching-Te (DPP) arrive en tête avec 40.1% des voix.

  2. Hou Yu-Ih (KMT) second avec 33.5%.

  3. Ko Wen-Je (TPP) avec 26.5%.

Une question éternelle : Taiwan et la Chine continentale

Cette élection a donc eu comme principale toile de fond, et comme conséquences, les relations avec la Chine continentale. Les résultats montrent que la majorité des Taïwanais n’est ni entièrement pour l’indépendance ou pour l’unification, mais pour un maintien du statu quo actuel, où la Chine n’agit pas directement, et où Taïwan ne clame pas directement son indépendance.

Dans son discours de victoire, M. Lai a annoncé :

“Taiwan dit au monde entier qu'entre la démocratie et l'autoritarisme, nous choisissons la démocratie.”

avant d’ajouter :

"Je remplacerai l’isolation par les échanges et la confrontation par le dialogue. Mais, face aux menaces verbales et militaires de la Chine, je suis déterminé à protéger Taïwan.”

De son côté, Xi Jinping a qualifié le 13 Janvier l'unification avec Taïwan d’un événement “historiquement inévitable". A plusieurs reprises, Beijing a tenté d'intimider les électeurs taïwanais en qualifiant cette élection de choix entre "la guerre et la paix, la prospérité et le déclin" et en dénonçant M. Lai, sa prédécesseur Mme. Tsai et le Parti Démocratique Progressiste comme étant des séparatistes qu’il sera nécessaire d’éliminer. Dans les jours qui ont précédé, la Chine avait même envoyé des ballons dans l’espace aérien de l’île pour montrer sa capacité à intervenir et pour tenter de déstabiliser le processus démocratique.

Peu après l’élection, un porte-parole du gouvernement communiste a déclaré que les résultats des élections montraient que le DPP "ne représentait pas vraiment l'opinion publique" et que la Chine maintiendrait sa politique “d’unification nationale".

Une situation politique interne complexe ?

Malgré sa victoire, le DPP n’a pas réussi à obtenir la majorité au Parlement, le Yuan Législatif. Celui-ci est principalement divisé entre les 3 partis principaux, et les sièges du TPP vont être, pour les 4 années à venir, décisifs dans toutes les décisions. Cette situation ressemble trait pour trait à la situation auquelle a dû faire face le premier président démocrate après 50 ans de démolition du Kuomintang (dont 30 ans de dictature militaire), et où l’opposition l’empêchait constamment de passer des réformes, surtout militaires. A voir si la situation se répètera et si elle aura des conséquences sur la capacité de Taïwan à se défendre.

Vers une recrudescence des tensions

Et si cette élection a inquiété beaucoup d'observateurs, et les taïwanais en particulier, c’est parce que, depuis que Mme. Tsai, l’actuelle présidente, est au pouvoir (2016), les relations dans le Détroit se sont extrèmement refroidies : la Chine a coupé toute diplomatie et contact avec l’île, a interdit à la plupart de ses habitants d’aller à Taïwan, et a renforcé sa présence militaire. En 2022, après la visite officielle de la porte-parole états-unienne Nancy Pelosi, Beijing avait lancé des missiles au-dessus de l’île et fait un blocus maritime avec sa flotte de guerre. Depuis lors, des avions de combat traversent la ligne de frontière aérienne presque tous les jours, entrant ainsi dans l’espace militaire taïwanais.

Et aujourd’hui, avec l’élection de M. Lai, beaucoup s’inquiètent d’une montée nouvelle des tensions, étant bien plus vocal que sa prédécesseur quant à l’indépendance de l’île. Il est le mouton noir de Beijing depuis qu’il a déclaré, lorsqu’il est devenu premier ministre en 2016, devant le Parlement “Je travaille pour l’indépendance”. Mais, pour éviter des tensions supplémentaires, il a promis durant sa campagne de maintenir la ligne modérée actuelle, considérant que, comme Taïwan est dans les faits indépendant, il n’y a pas de besoin de l’annoncer publiquement.

De plus, les Etats-Unis ayant déjà félicité le vainqueur (très rapidement par Joe Biden, et plus en détail par son chef de la diplomatie Blinken), il faut s’attendre à l’envoi d’une délégation officieuse à Taïwan dans les mois suivant la prise de fonction du nouveau président (le 10 Mai). Et, même si les Etats-Unis envoient ce genre de mission à la présidence taïwanaise depuis 2000, la Chine pourrait l’utiliser comme excuse pour quelque manœuvre militaire.

Un terrible sac de noeud que cette situation !

Bravo Taïwan !

Mais, à la fin de la journée, il faut regarder ce qui a été fait sur l’île dans son ensemble : le peuple taïwanais a fait le choix, et d’assez loin pour que cela soit clair, de refuser de céder aux menaces de son encombrante voisine, et de choisir de tenir bon pour leur liberté, en refusant la soumission promise entre les lignes par les communistes. Il leur a suffit de voir le sort réservé à Hong Kong :

  • Lorsque l’ancienne ville britannique fut rattachée à la Chine continentale, ce fut sous les termes d’un accord “Une Chine, deux Systèmes”, où Hong Kong maintenait son gouvernement démocratique autonome.

  • Mais le Parti Communiste a, en 2 décennies, réussi à briser cet accord et aujourd’hui, il met en prison ses opposants pour le motif avoué et affiché d’être “trop démocrates”. Ainsi, Hong Kong perd sa liberté, se fait museler années après années.

Et les Taïwnais sont bien conscients que, lorsque Beijing propose à nouveau “Une Chine, deux Systèmes” à l’île, promettant une autonomie garantie, il ne s’agit en réalité que d’un prétexte pour asservir Taïwan. Si l’unification se fait, ce ne sera qu’une question de temps (jours, mois ou années ?) avant que des personnes un peu trop vocales, un peu trop libres, un peu trop “ennemis du peuple” commencent à disparaître on ne sait comment, de la même façon que ceux de Hong Kong disparaissent dans des geôles pour avoir dit un mot en trop.

Alors, à tout ceux qui sont attachés à ces idées étranges que sont la liberté, le droit d’avoir une opinion ou tout simplement le droit de ne pas finir sa vie dans une prison ou dans un camp, il nous faut aujourd’hui saluer l'événement, et soutenir coûte que coûte l’île-poudrière qu’est Taïwan. Car c’est bien elle aujourd’hui qui est sur la ligne de front contre l’autoritarisme et, on peut le dire, le totalitarisme de la Chine.

Nicolas Graingeot


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